C’est à N’Zérékoré, vers la fin de l’année 1961 que j’ai fait la connaissance de Papa Traoré que ses fans surnommeront plus tard « Paya-paya ». Il y était receveur des PTT et moi, collégien. Il venait de créer le Nimba-Jazz.
Les Guinéens ne savent pas que ce saxophoniste hors-pair (pour moi, il est le meilleur du pays à côté de Momo Wandel et de Kélétigui) avait été pressenti pour prendre en mains le Bembeya Jazz.
En effet, Emile Condé, alors gouverneur de Beyla et fondateur du mythique orchestre, avait fait le déplacement exprès pour lui proposer d’en être le chef. Mais Téliwel Diallo, gouverneur de N’Zérékoré et grand ami de Papa Traoré s’y était catégoriquement opposé : « Papa Traoré ne bouge pas de N’Zérékoré. Trouve-toi un autre chef d’orchestre, Emile ! » C’est ainsi que celui qui n’était pas encore « Paya-Paya » restera plusieurs années à la tête du Nimba-Jazz avant de monter à Kankan, fonder le fameux Horoya Band.
A l’époque, dans mon esprit comme dans celui de mes copains d’enfance, mon horoscope ne me prédestinait pas à devenir un écrivain mais un grand chanteur. On disait que je chantais bien. Monsieur Sako Sékou (il m’a enseigné au CP II à Porédaka avant de devenir le directeur des Ballets Africains, ensuite, celui du Palais du Peuple) appréciait particulièrement ma voix. De sorte qu’après mes nombreuses années d’exil, j’ai été lui rendre visite à son domicile, il m’a dit avec une petite de reproche dans la voix : « Comment tu es devenu écrivain ? Je t’imaginais plutôt chanteur ! »
Et pourtant, chanteur, j’ai bien failli le devenir à cause de « Paya-Paya » justement. Encouragé par mes copains qui étaient aussi mes fans, je lui écris une longue lettre pour lui demander de me trouver une petite place au sein du Nimba Jazz.
Il me convoque pour une audition : « Pas mal, pas mal ! Seulement, il y a un hic, je n’ai pas envie de te détourner de tes études. Je t’autorise cependant à participer à nos répétitions et les samedis, je pourrais si possible, te passer le micro pour une ou deux chansons. » C’est ainsi qu’à trois ou quatre reprises, je me retrouvé devant un micro à la Permanence de N’Zérékoré où se tenaient les bals du samedi en train de massacrer les morceaux cubains en vogue dans un espagnol que j’étais le seul à comprendre.
Alors, entre la plume et le micro ? La question ne se pose plus. Ce n’est pas à 73 ans que je vais m’amuser à changer de métier. J’avoue cependant que je préfère la musique à la littérature. Pas seulement parce que les chanteurs gagnent plus de fric et ont plus de succès auprès des nanas. Parce que la musique parle directement à l’âme. Pas besoin de traduction.
La musique rapproche du bon dieu (écoutez donc les muezzins, écoutez donc les chorales des églises !) La musique dit mieux que tout, la vérité de ce monde. Je suis d’accord avec l’écrivain sud-africain, J.M. Coetzee quand il dit : « En vérité, le monde devrait appartenir aux chanteurs et aux danseurs. »
En 1964, je quittai définitivement N’Zérékoré pour d’autres cieux, d’autres lubies, d’autres passions, d’autres déconvenues. Je pensais en avoir définitivement fini et avec « Paya-Paya » et avec l’air hydrique de la capitale de la Guinée Forestière. C’était sans compter avec ce facétieux destin qui nous jouera toujours plus de tours que l’on ne peut imaginer.
Je trouvai, à mon retour d’exil que « Paya-Paya » avait épousé en secondes noces Nénan Kadiatou, la veuve de Bappa Alphadio, le petit frère de mon père.
Paya-paya est mort. La Guinée a encore perdu un de ces génies, et moi, j’ai perdu mon oncle.
Eh oui, la Guinée est une seule et même famille, n’en déplaise au régime sanguinaire, tribaliste et ringard d’Alpha Condé et de ses sbires.
Tierno Monénembo, in Le Lynx