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Contribution : Médecine légale et justice en Guinée

Dans un contexte de réconciliation nationale entreprise par les nouvelles autorités du pays, la santé publique et la recherche de la vérité qui contribuent à la consolidation de la paix, idéal commun recherché par la médecine légale et la justice, constituent aujourd’hui des défis majeurs à relever en Guinée. Il en est d’ailleurs de même dans la plupart des pays de l’Afrique de l’ouest, de plus  en plus, confrontés à l’insécurité.

En effet, la qualité de la justice tant pénale que civile se trouve souvent directement subordonnée à celle de la médecine légale dont les actes concourent à l’administration de la preuve et à la détermination de la nature et de l’étendue du  préjudice subi par la victime.

En Guinée, contrairement à la justice, la médecine légale ne couvre pas l’ensemble du territoire national. Elle est d’ailleurs loin de le faire, alors qu’ailleurs, elle a connu une évolution considérable au cours de ces dernières années en raison de l’importance de plus en plus croissante de la preuve scientifique dans le procès pénal.

Il n’y a, en effet, en Guinée que deux médecins légistes en exercice pour une population d’environ 12 millions d’habitants, et tous les deux sont installés à Conakry, la capitale. Il n’est, dès lors, pas étonnant que dans les procédures judiciaires à l’intérieur du pays, le recours au médecin par le juge se fasse sur le tas, à l’aveuglette, sans aucun critère de sélection, même pour des affaires complexes. Il ne peut d’ailleurs en être autrement.

Pourtant, s’il est vrai que tout médecin légalement requis est tenu, comme tout autre citoyen d’ailleurs, de prêter son concours à la justice, il n’en est pas moins vrai que la pratique médico-légale, quant à elle, n’est pas à la portée de tout médecin.

Bien sûr, l’insuffisance numérique des médecins légistes n’est pas particulière à la Guinée, même si cela ne peut être une excuse. Le Togo et le Bénin, par exemple, qui ont respectivement 7,5 millions et 11,5 millions d’habitants, ont chacun deux médecins légistes également. Par contre, en Côte d’Ivoire, on en dénombre six ; mais ce nombre est lui-même insuffisant au regard de la population qui est d’environ 24 millions d’habitants.

En Guinée, à l’insuffisance numérique des médecins légistes, il convient d’ajouter l’inexistence de Chaire de médecine légale dans les universités et une tarification relativement dérisoire ou, du moins, peu incitative du coût des autopsies médico-légales. Ce constat est le même pour la plupart des pays de l’Afrique de l’ouest.

Ce peu d’intérêt à l’égard de la médecine légale en Guinée et dans la plupart des pays de l’Afrique de l’ouest s’explique principalement par le manque de moyens et, surtout, par des préceptes culturels et religieux car en Afrique, tout ce qui est lié à la mort est entouré de mythe et de mystère de sorte que respect est dû à l’intégrité physique des morts.

Mais il ne faut pas occulter le fait que certains individus ont peut-être quelque chose à cacher pour s’opposer catégoriquement au rayonnement de la médecine légale.

En plus, en Guinée, dans les procédures judiciaires, les policiers, les gendarmes, les magistrats et les médecins ne travaillent pas le plus souvent ensemble, chacun d’eux préférant agir isolément. La synergie d’action ne semble également pas être la règle dans la plupart des pays d’Afrique de l’ouest.

Pourtant, pour confondre indubitablement un coupable ici ou ailleurs, il est nécessaire de mobiliser les principaux acteurs de la chaîne pénale, notamment les policiers ou gendarmes, les médecins légistes et les magistrats. Chacun d’eux a, en effet, un rôle crucial à jouer.

En ce qui concerne la médecine légale, celle-ci est au service, à la fois, de la société et de la justice car, très souvent, pour que la justice soit réellement située sur les véritables causes d’une mort suspecte ou la nature et l’étendue du préjudice subi par une victime de violences ou d’accident, il faudrait que le médecin légiste apprécie au préalable, au plan clinique, les modalités d’atteinte à sa vie ou le degré d’atteinte à son intégrité physique et/ou psychique.

Autrement dit, le médecin légiste est un auxiliaire de justice, outre qu’il contribue au respect des droits de l’homme et à la consolidation de la paix.

Cela est encore plus vrai pour les crimes de masse et autres crimes de sang qui ont malheureusement marqué l’histoire récente de la Guinée et que, tout aussi malheureusement, l’on observe de plus en plus dans d’autres pays de l’Afrique de l’ouest. Or pour ces crimes, il y a nécessairement des incertitudes non seulement par rapport aux personnes qui ont pu les commettre, mais également par rapport à leur mode opératoire et aux victimes.

En identifiant donc les coupables et les victimes par des procédés scientifiques à travers la médecine légale, il va sans dire que l’on permet ainsi non seulement de garantir la transparence dans le traitement des crimes de masse et autres crimes de sang, mais également d’éviter des erreurs judiciaires dans le règlement des procédures les concernant ; ce qui est de nature à rassurer les victimes et à dissuader de potentiels criminels. L’on permet également ainsi aux parents des victimes de faire éventuellement le travail de deuil, et une fois le deuil fait, il est à l’évidence facile d’envisager le pardon pour permettre de reprendre la vie en commun tant nécessaire.

Toutefois, à la question de savoir ‘’Qui peut saisir le médecin légiste ?’’, il convient de préciser qu’en matière pénale, par exemple, en cas de tentative de meurtre ou de mort suspecte, la victime ou son représentant ne peut saisir le médecin légiste que par l’intermédiaire des services de police ou de gendarmerie ou encore du procureur de la République. Par contre, en matière civile, notamment en cas de blessures du fait d’un animal ou d’une chose appartenant à autrui, la victime ou son représentant peut saisir directement le médecin légiste avant de saisir la justice.

Cette distinction, qui est fondée sur la nature de l’affaire peut paraître paradoxale. Cependant elle s’explique aisément, étant donné que la mise en mouvement de l’action publique incombe au Ministère public, alors que celle de l’action civile incombe à la victime.

De ce qui précède, pour le traitement des crimes de masse et autres crimes de sang, les autorités de poursuite doivent s’efforcer à faire preuve d’esprit d’ouverture et travailler en synergie, afin de surmonter tous les tabous et intérêts personnels, condition sine qua non pour restituer à la médecine légale la place qui est la sienne dans la procédure judiciaire et la consolidation de la paix. A cet effet, un programme cohérent de réforme de ce secteur pourrait notamment prévoir :

– une spécialisation en médecine légale dans les facultés de médecine avec des équipements appropriés ;

– le renforcement des capacités des médecins légistes et des médecins généralistes désireux de se former en médecine légale ;

– la revalorisation de la profession de médecin légiste notamment par l’adoption d’un cadre juridique et institutionnel garantissant l’autonomie des médecins légistes ;

– l’organisation de concertations périodiques entre les magistrats, les officiers de police judiciaire et les médecins légistes autour de thèmes bien précis d’intérêt commun ;

– l’amélioration de la communication entre les acteurs de la chaîne pénale ;

– l’harmonisation des procédures d’enquête criminelle à l’échelle nationale et même sous-régionale.

Bref, pour garantir, à la fois, une bonne administration de la justice et la consolidation de la paix en Guinée et, même, dans la sous-région ouest-africaine, levons-nous tous, famille judiciaire, pouvoirs publics et société civile pour assurer, avec l’appui des partenaires techniques et financiers, la promotion de la médecine légale !

                                                                  Conakry, le 23 février 2022

Hassane II Diallo, Conseiller juridique du ministre de la Justice et des droits de l’homme

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