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Crise ou la guerre des suppositions : du mensonge à la violence (Par Akoumba Diallo)

Le harcèlement suivi de l’assassinat d’une dizaine de guinéens, de multiples «kidnappings» et d’une série de condamnations à des peines privatives, contre des «héros» du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), opposés à un éventuel 3ème  mandat présidentiel pour M. Alpha Condé, ont redonné toute la vitalité aux arguments de Oskar Slingerland et Maarten Van Mourik co-auteurs de «La crise incomprise » dans laquelle il a été admis que «quand le diagnostic est faux, les politiques sont néfastes».

D’abord et ici, la lumineuse formule du 32ème président américain Franklin D. Roosevelt consignée dans «Roosevelt» de la collection les constructeurs : «Le seul rempart solide de la liberté est un gouvernement assez fort pour protéger les intérêts du peuple, et un peuple assez fort et assez bien informé pour maintenir son souverain contrôle sur son gouvernement».

Idéalement, tel devait être «le contrat social» tant développé par la philosophe moderne si chère au maître de conférences Thierry Ménissier, en le désignant comme étant l’alliance politique de tous les citoyens par le moyen d’un accord explicite. Qui rassemble les individus sous «une puissance publique souveraine». Et là, de cœur avec J.J. Rousseau, le contrat est social parce «qu’il consacre le geste politique de réunir les hommes». Par-là, il donne son sens à l’instrument de leur rassemblement, l’État, qui, «sous peine de dérive despotique, doit obligatoirement entretenir des liens avec la volonté des citoyens».

Cette série de manifestations de rue à l’appel du FNDC depuis le 14 octobre 2019 a tendance à prendre la forme «d’une désobéissance civile». Qui n’est autre que l’attitude de ceux qui désobéissent à la loi ou aux prescriptions gouvernementales, parce qu’ils suivent une cause qu’ils estiment supérieure à ces dernières: «La dignité de l’homme, la justice bafouée ou la libération de leur peuple». Véritables traits de leadership des hommes qui ont «rendez-vous avec la destinée» comme George Washington en 1776, Abraham Lincoln en 1861 et Franklin D. Roosevelt en 1933.

M. Abdourahamane Sano et compagnie, ces héros de «la nouvelle donne» se sont crus détenteurs de la citoyenneté guinéenne. Qui est participative de sorte que «le citoyen soit quelqu’un qui gouverne», au sens du traité international de droit constitutionnel (Suprématie de la constitution, Tomme 3 : 2012) « pour être citoyen, il faut pouvoir gouverner ».

Étant donc participative, la citoyenneté, de ces 10 morts, de Sano et Cie n’est-elle pas, ainsi, essentiellement démocratique ? Aristote précise que cette définition, selon laquelle le citoyen est titulaire de fonctions de gouvernement, concerne surtout le citoyen en démocratie, mais ajoute-t-il que, en général, «il ne faudrait pas appeler citoyens ceux qui ne prennent pas part au gouvernement ou qui ne contribuent aux avantages communs».

 Sans ambages, Platon fait dire à l’Hippias que pour le citoyen: «exercer la puissance politique dans son pays est ce qu’il y a de plus beau, tandis qu’il est souverainement  honteux de ne rien pouvoir dans un État».

La citoyenneté dévolue aux héros du FNDC devrait être fondamentalement égalitaire: La justice politique réside dans l’égalité. En effet, les citoyens sont comme des associés et désirent être d’une nature similaire, mais s’ils ont un tempérament différent. Dans ce contexte, Rousseau aurait-il raison de dire qu’«à l’égard des associés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et s’appellent en particulier citoyens, comme participant à l’autorité souveraine»?

Donc, la citoyenneté n’est fondamentalement possible «qu’entre égaux en dignité

 juridique et en conditions sociales». Toutefois, l’égalitarisme, selon Aristote, est intrinsèque à la nature de l’institution politique qui gouverne le pays. «Dans la plupart des régimes où gouvernent des citoyens, ceux-ci sont alternativement gouvernants et gouvernés, car tous tendent par leur nature à une égalité sans aucune différence».

Sur ce point, la philosophie kantienne ne s’écarte pas tellement de la perspective Aristotélicienne. Kant distingue trois statuts fondamentaux du membre d’une communauté politique («République») à savoir celui d’«être humain», celui de «sujet», et celui de  «citoyen». Ces trois statuts sont régis par trois principes différents : (a) la liberté pour ce qui relève de la situation d’être humain ; (b) la soumission à une loi commune, dans le cas du sujet; (c) l’égalité pour ce qui concerne la situation de citoyen.

La situation devient grave, dans un pays où l’institution politique a opté pour l’ordre au détriment de la loi, alors que la liberté nous échoit donc en tant qu’hommes, l’obéissance en tant que sujets et l’égalité en tant que citoyens.

Dénis Diderot dans «le citoyen» dit que le sujet est dirigé par un commandement, le citoyen par la loi. Le premier est soumis au pouvoir et le second au droit. Et dans la pensée de Platon celui qui légifère pour lui-même et son propre profit est qualifié de «partisan», ce qui est pire qu’étranger : «ce ne sont pas des lois bien faites, celles qui ne l’ont pas été dans l’intérêt de toute la cité, ne l’ont-elles pas été qu’en faveur de quelques-uns, nous appelons ceux-ci partisans et non pas citoyens, et le droit qu’on prétend leur attribuer, une vaine prétention».

On sait que le tyran est celui qui légifère dans son propre intérêt, en vue de son profit personnel : «La tyrannie n’a jamais en vue le bien commun, si ce n’est pour son profit personnel». La différence entre le tyran et le roi réside dans leur conception respective de la supériorité. «Le tyran ambitionne la richesse, tandis que le roi préfère ce qui contribue à son honneur».

Ceci dit, Platon sait plus que quiconque que le gouvernement ne doit pas concentrer trop de pouvoirs. En effet, «moins les rois ont d’attributions souveraines, plus leur pouvoir doit nécessairement durer longtemps dans l’intégrité». Ajoutant que la tyrannie, c’est encore « avoir un pouvoir souverain dans trop de domaines et avoir le pas sur la loi».

Même le républicain Machiavel voudrait que, celui qui gouverne ne puisse pas se considérer au-dessus des lois, échapper à tout contrôle, se soustraire au juge et au procès. Cette formule convaincante de Machiavel garde encore cette quintessence, « il n’est pas bon non plus que les citoyens qui ont l’État entre les mains n’aient personne qui les observe et qui les contraigne de s’abstenir d’œuvres mauvaises, en leur retirant cette autorité qu’ils utiliseraient à mauvais escient».

Selon Thomas Paine «chaque homme est propriétaire du gouvernement» ajoutant que «le gouvernement n’est pas une entreprise qu’un homme ou un groupe d’hommes aurait le droit de créer et de gérer à son profit».

Machiavel fait observer qu’une position de privilégié ne peut résulter que de la rupture de la réciprocité et de la relation civique. «Si vous notiez la façon de procéder des hommes, vous découvririez que tous ceux qui parviennent à des grandes richesses et à un pouvoir, y sont parvenus soit par la fraude, soit par la force afin de dissimuler la brutalité de leur acquisition, ils les justifient grâce à un titre de propriété falsifié.»

Des guinéens, dans les rangs du FNDC, ont appelé à des mouvements collectifs «non-violents», pour disent-ils résister contre la volonté gouvernementale «de changer la constitution du 7 mai 2010, pour contourner la rigueur des éternités qu’elle impose à la classe dirigeante». Une telle mission n’était pas aisée.

Parce que les adeptes de l’Abbé Siyiès retiennent de lui que « (…), une nation est indépendante de toute forme, et de quelque manière quelle veuille, il suffit que sa volonté paraisse, pour que tout droit positif cesse devant elle, comme devant la source et le maître suprême de tout droit positif».

Ainsi les héros du FNDC, dans l’expression de leur droit, à l’image de Gandhi et Martin Luther King (Ils en incarnent le modèle d’action : le premier en Inde par sa résistance civile au colonisateur britannique qui déboucha à l’indépendance nationale, le second aux États-Unis dans son combat pour la revendication des droits civiques des noirs) avaient cru à l’efficacité de cette pratique, fréquemment utilisée par les citoyens dans les sociétés démocratiques.

En décidant d’une telle action, le FNDC a certainement intégré que le concept de citoyenneté a une longue histoire, parfois tortueuse et obscure, mais très intrigante. Les héros du FNDC n’ignoraient non plus, l’analyse de Hannah Arendt portant sur la désobéissance civile américaine dans « du mensonge à la violence ». En tout cas, le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation, M.Bouréma Condé, a fait sien ce beau titre de cet essai, «qui est contemporain du combat des intellectuels américains pour la reconnaissance des droits civiques et la révolte des étudiants des années 60».

Certainement que M.Bouréma Condé ignore encore que Aristote et Platon, malgré leurs divergences, sont néanmoins d’accord qu’ «aucun homme ne peut, de par sa nature, régler en maître absolu toutes les affaires humaines sans se gonfler de démesure et d’injustice».

La condition humaine, ne deviendrait-elle pas plus précaire quand des responsables de l’institution politique fonctionnent suivant des suppositions sources de conflits ? Alors que Don Miguel Ruiz conseille fortement dans la voie de la liberté personnelle, «ne faites pas de suppositions ». Précisant que chaque fois qu’on fait des suppositions, qu’on prête des intentions à autrui, on crée des problèmes.

Conakry, le 25 octobre 2019

Akoumba Diallo

akoumba2000@yahoo.fr

Journaliste

Analyste au cabinet Mineral Merit SARL

Ancien membre de l’ITIE-Guinée