De tous les ministres d’Alpha Condé, seule une minorité courageuse a été rappelée par le sens des responsabilités, en acceptant de ne pas être esclave des privilèges et d’entendre les résonances de la conscience morale qui habitent tout homme en tant qu’il est un être de dignité. Gassama Diaby, Cheick Sacko et Yero Baldé : voici le camp des dissidents.
On peut leur reprocher le temps passé à servir un gouvernement qui a érigé l’injustice et les inégalités en modalité par excellence de la pratique du pouvoir. Mais, il n’est pas trop tard pour quiconque sait reconnaître le vice et se donner au moyen de cette reconnaissance des limites à ne pas franchir. Surtout qu’il arrive, pour des ministres ayant le sens de la dignité et qui n’entendent pas négocier éternellement avec la vertu, de s’aviser de l’insignifiance de leur rôle et de l’instrumentalisation dont ils font l’objet de la part d’un président émerveillé par le culte de sa propre personne.
De ces trois démissions en effet, on peut retenir qu’être ministre ou conseiller du président, c’est, dans des situations où se joue le destin d’un peuple, refuser la subordination et suivre le bon sens pour être dans le camp des justes. C’est aussi cette disposition au bien et à la justice qui caractérise la morale des braves, ceux qui refusent de se compromettre lorsque l’avenir d’un pays est confisqué par des individus qui nourrissent un appétit vorace du pouvoir.
Mais, il y a aussi cette autre morale, celle du parvenu. Elle consiste à être le jeu de la volonté du président et un matériel au service des aspirations viles de ceux qui ont été tirés de la précarité par la proximité du pouvoir. Affranchis de toutes les bonnes manières, livrant un féroce combat intérieur pour taire la voix de la conscience, les parvenus au pouvoir sont ceux qui finissent par développer et raffiner les techniques de l’enfumage et de l’instrumentalisation politique.
Ce sont eux qui aujourd’hui vantent dans la presse étrangère les vertus environnementales du projet de la nouvelle constitution, attestant par là même que ce sont des ministres guinéens, certes, mais qui n’habitent pas Conakry ; une des villes probablement les plus insalubres au monde. Certains, rompus dans l’art du sophisme et revendiquant fièrement leur soumission aux ordres du président, n’ont pas hésité à dire que « Alpha Condé n’avait de compte à rendre à personne » (Rachid Ndiaye). Autrement dit, la Guinée serait un royaume de gouvernants. Quant aux gouvernés, la population, elle n’existe que dans les textes officiels.
Ces parvenus ministres et conseillers ont aussi choisi leur camp, celui de l’aveuglement et du déraisonnable. Leur morale : se fondre dans la personne du président et continuer à défendre des bilans dont la population guinéenne attend toujours de voir les effets concrets. Mais on le sait : même quand tout invite au bon sens et à la raison, il n’a jamais manqué d’hommes et de femmes pour choisir obstinément les chemins tortueux de la violence. Mais ce qu’ignorent ces ministres et conseillers qui n’entendent pas rompre avec les amarres de la soumission, c’est qu’il y a une manière d’être fidèle qui ruine la dignité et compromet les possibilités d’être attentif à l’humanité en nous.
La Guinée traverse une période terrible et décisive. Le temps n’est pas au silence ou à la résignation. Le bégaiement devant ce qui nous arrive n’est pas justifiable : Politiciens, religieux, intellectuels, journalistes, chacun doit choisir son camp et donc sa morale, car, la crise actuelle nous montre jusqu’où le destin d’un peuple est lié à la nature et à la qualité de l’engagement des hommes et des femmes. En ce moment de crise, il incombe de penser, surtout pour cette nouvelle génération de Guinéen, à l’intérieur comme à l’extérieur, un type d’engagement politique susceptible d’affranchir le pays de cette vieille classe politique qui appartient à un autre temps, celui des indépendances.
Amadou Sadjo BARRY
P.h.D philosophie politique
Professeur de philosophie
Cégep de St-hyacinhte
Québec, Canada