En réponse à la tribune du Professeur Togba Zogbélémou : nous disons halte au tripatouillage de la Constitution et à la manipulation du Peuple !
Sans qu’il ne soit nécessaire de s’appesantir sur les desseins inavoués que servait la tribune du Professeur Togba Zogbélémou-laquelle trahissait assez aisément la préoccupation de son auteur d’assurer une assise légale et scientifique au projet anticonstitutionnel de troisième mandat-la présente contribution part de la vive réprobation intellectuelle qu’elle a déclenchée dans les milieux universitaires et académiques.
En effet, certains juristes, constitutionalistes ou non, se sont évertués à déconstruire, dans le cadre d’une analyse juridique solide, rigoureuse et méthodique, ce qui s’apparente plus à un véritable plaidoyer au service d’une nouvelle Constitution qu’à une démonstration objective et académique. S’il y a un aspect qui fait l’unanimité et qui constitue l’épine dorsale de l’argumentation du Professeur Zogbélémou, c’est bien l’impossibilité pour le Président de la République de faire adopter une nouvelle Constitution par voie référendaire sur la base de l’article 51 de la Constitution en vigueur, étant entendu que cette disposition renvoie exclusivement au référendum de type législatif et non constitutionnel. Afin d’éviter toute redondance, nous n’en rajouterons pas à la littérature juridique prolifique déjà existante. Nous nous nous emploierons plutôt à apporter un éclairage nouveau sur le pouvoir constituant et les circonstances de l’émergence d’une nouvelle Constitution (I) sans oublier de rappeler les instruments juridiques régionaux qui garantissent le principe de l’alternance démocratique tout en organisant des sanctions contre les auteurs de changement anticonstitutionnel (II).
- Le pouvoir constituant et les circonstances de l’émergence d’une nouvelle Constitution
Il convient de rappeler tout d’abord que les dispositions combinées des articles 27 et 154 de la Constitution du 7 mai 2010 qui garantissent le principe de l’alternance démocratique, empêchent le Président de la République de s’octroyer un troisième mandat. Tout mandat supplémentaire ou glissement de mandat en cours serait, en l’état actuel du droit positif, inconstitutionnel. C’est pour contourner ces dispositions intangibles que le pouvoir envisage illégalement l’élaboration d’une nouvelle Constitution par voie de référendum. Or, contrairement à l’avis exprimé par le Professeur Togba Zogbélémou dans sa tribune, il est incontestable que l’article 51 de la Constitution prévoit non pas un référendum constitutionnel mais un référendum législatif. Il sied de rappeler que l’article 51 de la Constitution guinéenne exige un avis de conformité de la Cour constitutionnelle pour tout projet et toute proposition de loi initiés dans ce cadre. De même, l’article 22 alinéa 3 de la Loi organique sur la Cour constitutionnelle dispose : « La Cour constitutionnelle exerce un contrôle de constitutionnalité du projet ou de la proposition de loi référendaire préalablement au vote du Peuple ». Or, il serait difficilement imaginable qu’un contrôle de constitutionnalité de la nouvelle Constitution à l’ancienne puisse être opéré alors même que la nouvelle conduirait à l’abrogation de l’ancienne. Ce qui sous-entend que cet article 51 ne peut servir de base légale pour proposer une nouvelle Constitution.
Le pouvoir constituant originaire est celui d’édicter une première, ou nouvelle Constitution. Il suppose donc une rupture de l’ordre constitutionnel antérieur à la suite d’une révolution, d’un coup d’État, d’une guerre avec occupation du sol national ou de la création d’un nouvel État. Le pouvoir constituant comprend ainsi un processus révolutionnaire qui est la rupture illégale de l’ordre constitutionnel. Or, rien en l’espèce ne justifie objectivement et raisonnablement l’élaboration d’une nouvelle Constitution au détriment de la révision, si tant est que l’objectif poursuivi demeure véritablement l’amélioration de la Constitution en vigueur.
Le pouvoir constituant originaire se caractérise par une nature particulière. Il naît dans le fait pour ensuite seulement créer le droit. Il est rebelle à toute théorisation juridique c’est-à-dire qu’aucune règle même juridique ne peut lui être imposée. Il est par définition souverain. Toutefois, la question qui se pose n’est pas de savoir s’il est souverain ou non, mais s’il est juridique ou non, c’est- à dire encadré par le droit, ce qui n’est pas tout à fait la même chose selon le Professeur agrégé de Droit public Jean-Philippe Derosier.
S’il n’est pas juridique, il peut s’affranchir du droit et faire effectivement et totalement ce qu’il veut. Si ce pouvoir est juridique, il est nécessairement encadré par le droit. Il peut tout à fait être souverain tout en étant juridiquement et constitutionnellement encadré.
La souveraineté qui est posée à l’article 2 de la Constitution ne signifie pas que la souveraineté nationale qui appartient au peuple s’exerce de n’importe quelle façon. Elle s’exerce par ses représentants et par la voie du référendum dans les formes prévues par la Constitution.
L’article 2 de la Constitution en vigueur dispose en effet : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants élus et par voie de référendum. Aucune fraction du peuple, aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. La souveraineté s’exerce conformément à la présente Constitution qui est la Loi suprême de l’État… ». Faut-il rappeler également que le référendum d’initiative populaire qui permet au peuple d’initier et d’adopter une loi n’existe qu’en Suisse, en Italie et en Autriche. Il n’existe pas en Guinée et même en France, patrie des droits de l’homme, car c’était l’une des revendications des Gilets jaunes. Autrement dit, la liberté d’opinion et d’expression reconnue aux citoyens guinéens ne leur confère pas un droit d’initiative pour convoquer un référendum législatif ou constitutionnel.
La liberté d’expression est un droit fondamental mais pas un droit absolu. Elle ne peut être invoquée pour porter atteinte à l’unité nationale ou au fonctionnement démocratique des institutions comme le prévoit l’article 4 de la Constitution. Se servir de la liberté d’expression pour violer les dispositions de la Constitution constitue un abus de droit. Ne peuvent donc prétendre au bénéfice de la liberté d’expression ceux qui l’utilisent à des fins perverses, en sapant notamment les dispositions considérées comme intangibles par notre Constitution. Les membres du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) et tous les citoyens qui se battent pour le respect de la Constitution ne font que leur devoir en application de l’article 22 de notre Loi fondamentale en vertu duquel « chaque citoyen a le devoir de se conformer à la Constitution, aux lois et aux règlements ».
Ainsi, pour se prononcer pour ou contre un projet de loi constitutionnelle, les bons citoyens doivent attendre que la question leur soit posée dans le respect des procédures constitutionnelles en vigueur. De même, pour exiger une nouvelle Constitution, il faut qu’il y ait une rupture de l’ordre constitutionnel en vigueur ou une contestation sérieuse des Institutions en place comme indiqué précédemment. Ce n’est pas parce qu’on exige le respect des normes constitutionnelles en vigueur qu’on dénie au peuple sa souveraineté.
Le débat sur la nécessité de doter la Guinée d’une nouvelle Constitution a été introduit par les seuls tenants du pouvoir dont le but ultime est d’empêcher l’alternance démocratique pour maintenir au pouvoir le Président actuel au-delà de son second et dernier mandat. En effet, le peuple n’a pas exprimé de rejet quant à la Constitution actuelle. Le recours au peuple n’intervient que pour préparer les esprits à un passage en force visant à légitimer des opérations de tripatouillage constitutionnel. L’idée voulue est de faire croire qu’un groupe de citoyens représentent la collectivité dans son ensemble. Or, pour que l’idée de peuple soit admise, il faut qu’apparaisse une volonté commune. Le peuple n’existe que là où existe un intérêt commun. Ce n’est pas dans l’intérêt du peuple de Guinée mais dans celui d’un individu ou groupe d’individus.
En définitive, le recours au référendum, strictement encadré par les articles 51 et 152 de la Constitution du 7 mai 2010, ne peut servir de fondement légal à l’élaboration d’une nouvelle Constitution étant entendu que dans les deux cas, le référendum ne peut avoir lieu que conformément à ladite Constitution.
- Rappel des instruments juridiques régionaux qui garantissent le principe de l’alternance démocratique et prévoient des sanctions contre les auteurs de changement anticonstitutionnel
Pour garantir les principes de l’alternance démocratique, l’article 23 point 5 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la Gouvernance dispose :
« Les États parties conviennent que l’utilisation, entre autres, des moyens ci-après pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l’Union :
(…) Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique ».
A cet égard, l’article 25 points 4 et 5 prévoit des sanctions en ces termes: « Les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur État. Les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement peuvent être traduits devant la juridiction compétente de l’Union ».
De même, l’article 1er du Protocole A/SP1/12/01 de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité prévoit dans le cadre des principes constitutionnels communs à tous les États membres, en sont point C que :
« Tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ».
Le même Protocole prévoit en son article 45 des sanctions contre tout État Membre en cas
de rupture de la Démocratie par quelque procédé que ce soit et en cas de violation massive des Droits de la Personne.
De ce qui précède, il convient de noter que ces deux instruments internationaux qui garantissent notamment les principes de l’alternance démocratique en Afrique s’opposent ou interdisent l’utilisation de tout moyen ou procédé anticonstitutionnel ou non démocratique pour se maintenir au pouvoir. En effet, ces textes donnent une large définition à l’expression « changement anticonstitutionnel » et font une énumération non exhaustive des moyens ou procédés utilisés pour se maintenir au pouvoir. La Guinée, ayant signé et ratifié les deux instruments mentionnés, est tenu par le respect des engagements y découlant pour elle.
III-Propos conclusifs
Le meilleur texte ne garantit jamais la meilleure pratique. Autrement dit, un changement de Constitution ne signifie pas nécessairement un changement dans les pratiques politiques. « Au-dessous des institutions, des chartes, des droits écrits, de l’almanach officiel, il y a les idées, les habitudes, le caractère, la condition des classes, leur position respective, leurs sentiments réciproques, bref un écheveau ramifié des profondes racines invisibles sous le tronc et le feuillage visibles. Ce sont elles qui nourrissent et soutiennent l’arbre ». H. Taine, Note sur l’Angleterre, 1876.
Il n’existe aucune opposition de principe à ce que soient introduites des améliorations substantielles visant un meilleur équilibre institutionnel ou assurant un aggiornamento, celles-ci pouvant, en effet, être initiées par voie de révision, dans le respect du cadre constitutionnel en vigueur. C’est ainsi que la Constitution française du 2 octobre 1958 a été modifiée à plus des deux tiers par rapport à son écriture originelle avec des modifications aussi fondamentales que l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, le quinquennat présidentiel, la saisine du Conseil constitutionnel par les parlementaires ou maintenant par voie d’exception, et autres rénovations de la procédure parlementaire.
Au demeurant, la solution ne réside pas tant dans l’élaboration de nouveaux textes puisque les textes existants sont assez riches dans l’ensemble, mais plutôt dans leur respect.
Au lieu d’être un moyen de limitation du pouvoir des gouvernants, la Constitution a été transformée par ces derniers en un « instrument de pouvoir ». Au lieu d’être un pacte social définissant les droits et devoirs des gouvernants et des gouvernés pouvant assurer la paix civile et sociale, elle est devenue un acte unilatéral changeant en permanence au gré des intérêts des gouvernants, protégeant leur seul pouvoir pour rester en place. Pourtant, lorsque les Constitutions sont désavouées constamment et que le droit perd sa fonction originaire, le Peuple souverain sort dans la rue et dit : « ça suffit »! Non à la manipulation, Non à la corruption, Non à la répression pour se maintenir au pouvoir ad vitam aeternam.
Article co-écrit par Nadia NAHMAN et Maître Amadou DIALLO