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D’une opposition guinéenne à l’autre : entre variantes de réussite et échecs répétitifs

Les élections présidentielles de juin 2010 inaugurent la seconde étape de l’histoire politique de l’opposition guinéenne. Si l’on fait abstraction de la période 1958- 1990 qui ne connut l’existence d’aucune opposition officielle. Durant la transition politique de 2010 assurée par Sékouba Konaté, l’opposition dans son acception politique du terme n’existait pas du moment qu’il n’y avait plus de pouvoir adverse à combattre. Ni Sékouba ni aucun membre du gouvernement dirigé par Jean-Marie Doré n’était candidat à une élection comme le stipulaient les accords de Ouaga.

C’est l’opposition qui était candidate pour et contre elle-même aux présidentielles. Il n’y a pas eu d’alliances majeures ni de candidature unique durant le premier tour. C’est au lendemain du scrutin que les partis politiques forment des coalitions. L’Union des forces démocratiques de Guinée (Ufdg), l’Union des forces républicaines (Ufr) et la Nouvelle génération pour la république (Ngr) forment «l’Alliance des bâtisseurs». Le Rpg s’allia avec d’autres partis politiques pour former le Rpg Arc-en-ciel. C’est alors que voit le jour ce que je qualifierai d’«Opposition intra » : Alpha Condé et Cellou Dalein étant des anciens alliés politiques.

Chaque camp avait son objectif : confirmer la victoire du premier tour pour Cellou Dalein. Inverser l’ordre des choses en battant au second tour le vainqueur de juin 2010. Ce qui fut le 7 novembre de façon renversante, dirions-nous. La victoire d’Alpha Condé ouvre la seconde phase mentionnée plus haut et voit les anciens alliés contre la junte s’opposer. Pour autant, est-ce qu’un opposant au sens strict du terme a gagné une élection en Guinée ?

Alpha Condé n’a pas détrôné Lansana Conté qu’il a affronté dans le passé. Il a été élu en tant qu’ancien opposant guinéen. Il n’avait ni régime politique ni président adverse à affronter. Cependant, il est indéniable qu’il est un « opposant historique » comme le furent Siradio Diallo, Bâ Mamadou et Jean-Marie Doré. Cellou Dalein Diallo aurait été le premier opposant élu Président de la République s’il avait conservé l’une des victoires de 2010, 2015 ou 2020.

A nouvelles échéances, nouvelles alliances

En termes d’alliances politiques, il n’y aura pas de grands changements dans la perspective des échéances de 2020. C’est quasiment le scénario de 2010 et 2015 qui s’est reproduit. Néanmoins, si le Rpg-arc-en-ciel s’est consolidé davantage, l’alliance des bâtisseurs est passée au concasseur en s’auto-démolissant, de surcroit. Ce n’est pas non plus faute d’appellations prometteuses si toutes les élections de 2020 ont eu les résultats que nous connaissons.

Entre Convergence de l’opposition démocratique (COD ; coalition des partis pour la rupture (CPR) ; Bloc de l’opposition constructive (Boc) et bien d’autres, tous les espoirs étaient permis. Mais il n’y aura ni alternance, ni convergence encore moins rupture. Du côté des deux grands partis du pouvoir et de l’opposition, il y aura :  l’Alliance nationale pour l’alternance et la démocratie (Anad) datant de 2015 entre l’Ufdg et un certain nombre de partis et mouvements politiques.

Au tour du Rpg arc-en-ciel, : la Coordination démocratique pour la nouvelle constitution (Codenoc), août 2019, devenue en mai 2020 Coordination démocratique pour le changement dans la continuité (Codecc). Un changement de dénomination que les initiateurs ont eu du mal à trouver si bien qu’entre  Codenoc et Codecc, il n’y a aucune sonorité commune. Le génie guinéen. Que voulez-vous ? Mais c’est les « oc », le « ecc » qui ont porté Alpha Condé au trône et depuis nous sommes dans le hic.

Une opposition en lambeaux à la veille d’échéances majeures

A la veille du triple scrutin référendaire, législatif et présidentiel du 22 mars et du 18 octobre 2020, c’est une opposition guinéenne, éclatée, pléthorique, hésitante qui tente de barrer la route au troisième mandat. Paraissant aussi uni que des feuilles de bambous dans la savane, le conglomérat de partis politiques et de mouvements constitués contre les projets du pouvoir ne pourra qu’observer sa propre défaite.

Comment une opposition encore plus démolie que par le passé, totalement décharnée et désintégrée à l’approche du troisième mandat, tant décrié, aurait-elle pu gagner quoi que ce soit ? En revanche, ils sont nombreux, nos concitoyens à remplir les prisons, les morgues et les cimetières. En outre, l’annonce préélectorale : « Partout où il y a eu de troisième mandat, il y a eu des morts mais les élections ont eu lieu » ne sera pas une vaine prophétie.

Une opposition qui ne vainc l’adversaire le conforte

A défaut de vaincre Alpha Condé, ses adversaires ont, bien malgré eux peut-être, mais sûrement à leurs dépens, réussi à lui ouvrir un boulevard vers un troisième mandat ; à deviser encore plus le pays ; à rallonger le nombre de morts ; d’instaurer le Sextennat et la Quatrième République.

Il n’y a qu’une seule différence entre certains membres de cette opposition et le camp arc-en-ciel.  Ce dernier a vite choisi l’inqualifiable viol de la constitution et ses conséquences. Au même moment, certains qui ont encore l’outrecuidance de se faire appeler « opposants » ont choisi la division et opté pour la politique du chat : attendre que la souris soit attrapée, par un autre aussi affamé que lui, pour sortir son museau et chanter les louanges du concurrent.

Cependant, l’opposition dite classique n’est pas l’unique responsable de l’échec du processus d’alternance en Guinée, même si elle n’est pas totalement étrangère à la gestation, du moins à l’allaitement, de l’enfant qui va lui mordre les seins.

Un mariage contre-nature : opposition traditionnelle et alliance civile crypto-politique

Rien n’est hasardeux en politique. Tout se prépare en amont pour s’appliquer en aval en usant des moyens de sa politique selon le principe : la fin justifie les moyens, parfois inversement. Une telle règle a souvent été ignorée par l’opposition politique guinéenne dite traditionnelle. Ainsi, en octobre 2019, les Guinéens de l’intérieur et de l’extérieur ont vu germer comme un champignon, un mouvement civil dénommé Front national pour la défense de la constitution (Fndc).

Les états majeurs de plusieurs partis politiques vont sceller une alliance d’avec ce mouvement sans forcément consulter leur base ni tous les responsables de certaines instances. Parmi ces partis politiques : l’Ufdg, l’Ufr, le Bloc libéral ; le Parti de l’espoir et du développement national (Peden) ; le Parti des démocrates pour l’espoir (Pades). Même des troubadours et autres rasta men de la place s’y s’étaient joints pour ne pas rester en marge.

Très vite, le nouveau-né a le vent en poupe. Il n’a même pas eu le temps de marcher à quatre pattes qu’il s’est mis à voler. En effet, courant toujours derrière la solution de leurs problèmes, les Guinéens, lui ont très vite servi d’ailes.  Ce nième mouvement politique, qui ne dit pas son nom, est le dernier des Mohicans. Il ravive les espoirs ; sort ses muscles, ses tambours, ses tribuns, etc. Les citoyens le rejoignent donc à la dimension de leurs attentes : tuer dans l’œuf toute velléité de troisième mandat. Y voyant une pièce de rechange aux politiciens traditionnels, ils envahissent durant des mois les rues.  Ils y laissent malheureusement le prix du sang le plus élevé depuis le 28 septembre 2009.

D’un FNDC, porteur d’espoir, galvaudé, chanté et applaudi à un autre

Le Fndc n’a pas répondu aux attentes. Il est allé bien moins loin que les Forces-vives qui avaient réussi une transition gouvernementale. Loin de satisfaire les espoirs, le Fndc semble avoir perdu de sa couleur dans des conflits internes et son sigle s’est vite métamorphosé en Front national de la désillusion et de la confusion. Aujourd’hui, il semble n’avoir plus de visage, ni de langue d’ailleurs car il est réduit à son plus petit dénominateur de crypto-parti politique en perdant tout ce qui faisait sa gloire des débuts.

Une chose cependant. Si le Fndc a raté sa vocation de se poser en une force réellement civile, il aura réussi, ce qui est assimilable à une mission : s’agripper au baobab-Ufdg, comme les lianes à leur hôte pour en extraire le maximum de sève nourricière avant de tenter de le terrasser. Mais là aussi, allez chercher les raisons.

On voit bien que l’opposition guinéenne, quelle que soit la forme qu’elle prend, maitrise parfaitement l’art de s’opposer dès lors qu’il est question d’atteindre un objectif. Comment une opposition qui s’oppose à elle-même en accentuant les conflits pourrait-elle vaincre un adversaire ? Si au moins, elle admettait ses errements pour se réformer.

Tout indique qu’on en est très loin, car certains de ses hauts responsables courent derrière un poste ministériel comme une hyène affamée le ferait pour un morceau de viande pourrie. Espérons qu’une telle attitude aura au moins l’avantage de clarifier le futur. En effet, nombre de partis qui se disent : « transversal »« diagonal, vertical, horizontal », que sais-je, sont en réalité bien plus sinusoïdal.

L’opposition guinéenne ou ce qui en restera doit se reformer ou mourir sous peu

De son origine à nos jours, l’opposition guinéenne s’est souvent distinguée par une constance en termes de conquête de pourvoir : contribuer, bien malgré elle, à éterniser au pouvoir les hommes qu’elle voudrait déchoir. A ce jour, les opposants successifs de 1990 à 2020 sont incapables de renverser un pouvoir afin de mettre fin à une longue tradition politique perverse et tentaculaire basée sur la culture de la division. Pourtant, toutes les alliances et mésalliances se donnaient comme objectif d’installer un des leurs au sommet de l’Etat.

Sa finalité, tout autant primordiale, d’instaurer un système de démocratie alternative en Guinée qui passerait nécessairement par l’échec de Lansana Conté ou d’Alpha Condé à une élection présidentielle au moins, est encore du domaine du rêve. L’opposition actuelle a souvent réédité les mêmes exploits qu’avait réussis le quatuor que formaient Jean-Marie Doré, Siradio Diallo, Bâ Mamadou et Alpha Condé lui-même.  Les revendications actuelles rappellent, à bien de générations, celles qui dénonçaient les fraudes, les truquages de résultats, les meurtres, les arrestations, les emprisonnements de responsables et de militants des années 1990-2008.

En 1998, Alpha Condé en personne avait été une victime des maux évoqués avant d’être arrêté et condamné à cinq ans de prison en 2000. L’une des réussites de l’opposition qui mérite d’être relevée, c’est de pouvoir s’unir et mobiliser les Guinéens de l’intérieur et de l’extérieur pour la libération du président actuel des geôles du pouvoir Conté.

Les échecs récurrents pourraient servir aux opposants sinon aux guinéens

Pour ne plus être le témoin impuissant ou le complice passif de la reproduction de systèmes politiques qui se succèdent à eux-mêmes dans les conditions bien connues, l’opposition guinéenne doit incessamment se réformer. Du moins, ceux qui survivront. Ceux-là devront choisir entre deux issues : exister ou mourir.

D’ici-là, les uns revendiquent une victoire confisquée. Les autres qui seraient encore opposants envahissent les médias pour supplier le pouvoir qu’ils ont dénoncé, parfois dans les termes les plus abjects, à leur ouvrir la porte. Reniflant la senteur très succulente qui se dégage du côté du palais de Boulbinet, ils ne voudraient pour rien au monde manquer le blabla autour de la table. Ainsi, entre deux poignées dégoulinantes de gras, ils pourront dialoguer sur les qualités culinaires du cuisinier et la saveur du menu. Ils en profiteront, à n’en pas douter, pour ramper sous les pieds du maître des lieux pour emporter quelques miettes.

Une chose cependant : les Guinéens sauront désormais distinguer opposants réels et opposants en transit. Ces derniers, ayant raté la transition à laquelle ils ont appelée de tous leurs vœux sont aujourd’hui en transit et attendent fiévreusement de savoir si l’arc du Rpg les enverra vers les cieux ou dans les tréfonds de l’abîme. Toutefois, si Alpha Condé restait fidèle à lui-même, attention, cardiaques, hypertendus, diabétiques, prémunissez-vous d’inhibiteurs, de diurétiques, d’anticoagulants et autres antidépresseurs.

Par Lamarana-Petty Diallo

lamaranapetty@yahoo.fr