Le 18 Octobre dernier, les guinéens ont été appelés aux urnes pour élire le tout premier président de la 4e République.
Ceci, après 10 ans de règne du « premier président démocratiquement élu », Pr Alpha CONDE qui fut, d’ailleurs, réélu à cette occasion.
Loin de toute prétention et en toute objectivité, nous avons décidé de passer en revue ‘’les acquis majeurs’’ et ‘’les défis majeurs’’ du régime CONDE (2010-2020) dans le domaine spécifique de l’éducation.
Des acquis, bien entendu, qui devront être pérennisés dans le futur tout en tentant de relever les défis de façon concomitante.
Parlons tout d’abord des acquis majeurs de la gouvernance du Pr Alpha CONDE dans le secteur de l’éducation :
- La mise en place de la Commission Nationale de Réflexion sur l’Education (CNRE)
Cette commission avait été mise en place par décret n°327 du 14 novembre 2016 et, elle avait comme objectif d’établir ‘’un diagnostic du système éducatif dans sa globalité en vue d’émettre des propositions qui feront l’objet d’une réforme à entreprendre à travers des mesures immédiates, c’est-à-dire […] à court, moyen et long termes’’.
Elle était composée, dit-on, des principaux acteurs directs du système éducatif : les quatre ministères du secteur de l’éducation à l’époque, dont 2 anciens ministres, la Primature, la fédération des parents d’élèves, les syndicats, les organisations de la société civile et des techniciens du système éducatif. Au total, la commission était composée de 24 personnes.
Après près d’un an de travaux en sous-commissions et en plénières, de lectures et de synthèses de centaine de documents, d’entretiens avec des décideurs à plusieurs niveaux du système éducatif et de l’Etat, la commission présenta un document structuré en trois parties à savoir : les objectifs de la réforme, le diagnostic du système éducatif et les réformes proposées.
La démarche et le travail effectué furent, à l’époque, salués par la presque totalité des acteurs et observateurs de l’école guinéenne. Même si, reconnaissons-le, certaines recommandations peinent toujours à être appliquées ; notamment en terme de réformes structurelles, de qualité, d’accès, de gouvernance et d’amélioration véritable des conditions de vie et de travail des enseignants et encadreurs.
- Le recensement biométrique des étudiants
Finalisé en juin 2017, cette opération a permis de détectés plus 47 mille étudiants fictifs dans les IES (Institutions d’Enseignement) publiques et privées.
Sur les 52 mille étudiants inscrits à l’époque au privé, seulement 19 mille répondaient aux normes et, sur les 33 mille du public, seulement 19 mille étaient également dans les normes.
Au total, on avait noté, plus de 50% d’étudiants fictifs parmi la population étudiante des IES. Ce qui, selon le Ministre d’alors, Abdoulaye Yero BALDE, allait permettre au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique de «faire au minimum une économie oscillant entre 150 et 200 milliards ou plus par an. »
- L’accroissement de la part de l’éducation dans le budget national de développement (BND)
La part du budget national de développement (BND) a fortement augmenté entre 2010-2019, passant ainsi de 1 023,5 milliards de Francs Guinéens soit 12,7% du BND à 2 850,49 milliards de Francs Guinéens soit environ 17% du BND. Et, semblerait-il, une amélioration non moins considérable est prévue dans la loi de finances 2020.
- L’élaboration du ProDEG (Programme Décennal de l’Education en Guinée)
Le ProDEG (Programme Décennal de l’Education en Guinée) est un document prévisionnel d’environ 90 pages, élaboré en 2019 et qui couvre la période 2020-2030. Il regorge des mérites non moins importants dont, entre autres :
- L’exposé de quelques éléments diagnostic sectoriel (chapitre 1)
- La définition des orientations politiques du secteur (chapitre 2)
- La définition de programmes prioritaires (chapitre 3)
- L’élaboration des couts et du financement (chapitre 4)
- La détermination de la coordination, le pilotage et l’évaluation du ProDEG (chapitre 5).
C’est un document bien peaufiné même si, reconnaissons-le, certaines parties méritent d’être améliorées.
- La promotion de l’éducation préscolaire et de l’Enseignement Technique et la Formation Professionnelle
Parlant de l’éducation préscolaire, il faut souligner que ce sous-secteur de l’éducation nationale était, jusqu’en 2017, un domaine de compétence du ministère des affaires sociales, de la condition féminine et de l’enfance. Il a été transféré au MENA (Ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation) suite à une recommandation de la CNRE (Commission Nationale de Réflexion sur l’Education). Aujourd’hui, le préscolaire fait l’objet de toutes les attentions et des investissements colossaux y sont prévus.
Quant au sous-secteur ‘’Enseignement Technique et la Formation Professionnelle’’, longtemps laissé pour compte, il est désormais inscrit au rang des priorités du gouvernement en termes d’éducation. Sa part du budget alloué à l’éducation augmente au fil des ans. La signature de l’accord de prêt de 230 millions d’euros avec la société Palumbo courant 2020 pour, dit-on, le financement des projets des infrastructures d’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle dans les huit (8) régions administratives, en est une illustration.
Nous attendons la concrétisation de tous ces projets et programmes.
- La construction/rénovation de nouvelles infrastructures scolaires et universitaires
Une analyse des annuaires statistiques de 2016 et 2018, nous montre ainsi que le nombre d’établissements d’enseignement a fortement augmenté entre 2010 et 2018. Ces effectifs se présentent comme suit :
- Primaire : De 7 815 à 10 094 soit une augmentation de 2 279 écoles
- Secondaire : De 1 050 à 1 786 soit une augmentation 736 écoles
- Professionnel et technique : De 82 à 114 soit une augmentation 32 écoles
Les établissements d’enseignement supérieur public (Université Gamal, Université GLC de Sonfonia, …) font peau neuve et connaissent une extension et une modernisation progressives.
- L’amélioration substantielle des conditions de vie des professionnels de l’éducation
Quoiqu’on dise, les enseignants ont pu obtenir une certaine amélioration salariale entre 2017 et 2020. Il s’agit notamment des 40% d’augmentation et des primes d’incitation variant, selon les zones, entre 600 000 GNF et 1 300 000 GNF le mois.
- Le recensement des fonctionnaires de l’éducation
Ce recensement, piloté par Pr Bano BARRY (actuel Ministre de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation) et le SLECG (Syndicat Libre des Enseignants et Chercheurs de Guinée) d’Aboubacar SOUMAH, a permis de détecter des milliers de cas d’enseignants fictifs et engrangé environ 14 milliards de francs guinéens par mois qui se volatilisaient dans la nature.
A présent, intéressons-nous aux défis majeurs du secteur de l’éducation et de la formation pour les prochaines années :
- L’introduction des langues nationales dans l’enseignement (bi ou multilinguisme)
Tous les experts sont aujourd’hui unanimes-ou presque-que l’apprentissage dans la langue maternelle favorise mieux la compréhension et aide à atténuer la « crise de l’apprentissage » détectée par des enquêtes de grande envergure telle celle effectuée par la Banque Mondiale dont le rapport a été publié en 2018.
La Guinée, sous la première république était sur une très bonne voix en terme de bilinguisme (voire multilinguisme). Hélas !
Mieux encore, la langue est le véhicule de la culture d’une société. C’est, en quelque sorte, l’âme même de la société.
- La définition d’une réelle politique éducative nationale
Le système éducatif guinéen, s’il en existe un, ne reflète pas à mon avis les réalités socio-historiques, politiques, culturelles et économiques de notre pays ; encore moins les aspirations du peuple guinéen. Tout est presque importé d’ailleurs !
Pourtant, un système éducatif doit pleinement jouer, avant tout, sa fonction de reproduction de la société dans laquelle elle est implantée ou prétend servir. En plus, bien entendu, des autres fonctions (politique, idéologique, …). Raison pour laquelle, les américains, les chinois, les français, les japonais, les arabes, les turcs-à ne citer ceux-ci- implantent leurs propres écoles partout où ils vont pour ne pas que leurs enfants soient victimes de déracinement en les inscrivant dans les écoles d’autrui. C’est aussi, nous le savons depuis longtemps, une arme fatale en matière de géopolitique.
Quand vous inscrivez vos enfants dans les écoles japonaises, américaines, turques, arabes ou françaises ; ils se métamorphosent en adoptant, consciemment ou non, les façons de faire, d’être et de penser autres que celles de leurs origines.
- La révision du schéma administratif du secteur de l’éducation et de la formation
L’existence de trois ministères sous-sectoriels de l’éducation et la formation ne favorisera pas une meilleure coordination, un pilotage rationnel et une évaluation objective.
Pour pallier ce problème de coordination du secteur de l’éducation en général, les programmes tel le ProDEG en particulier, je propose le schéma ci-dessous :
Un Ministère de l’Education Nationale, de la Formation, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MENFESRS) composé de trois secrétariats d’Etat à savoir :
- Secrétariat d’Etat Chargé de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation
- Secrétariat d’Etat Chargé de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle
- Secrétariat d’Etat Chargé de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de l’Innovation.
Nb : La commission nationale de réflexion sur l’éducation en avait déjà fait cas.
- La déclaration de l’éducation comme « priorité des priorités » (décennie de l’éducation)
Considérer le secteur de l’éducation comme étant une priorité parmi tant d’autres est une chose, en faire « la priorité des priorités » en est une autre. C’est pour cela, je plaide pour la déclaration d’une ‘’décennie de l’éducation en Guinée’’ (2020-2030).
- L’augmentation considérable du budget alloué au secteur de l’éducation et de la formation
Des efforts ont été fournis certes, mais, nous sommes encore loin derrière beaucoup d’autres pays en voie de développement tels le Sénégal, la Côte d’Ivoire, …
Il serait judicieux, salutaire et salvateur de consacrer, tout au long de la décennie 2020-2030, au moins 25% du BND à l’éducation.
- La moralisation de la vie scolaire
La corruption et les groupes mafieux (internes et externes au système éducatif) sont entrain de miner, profondément, l’éducation guinéenne. L’éthique professionnelle est foulée au sol et les pratiques les plus immorales continuent à ternir l’image de notre école.
Voilà pourquoi un accent particulier devrait être mis sur la moralisation de la vie scolaire. Ainsi, une restructuration, une réorientation et une impulsion de la direction nationale de l’éducation civique et morale s’avère plus qu’imminente.
- La mobilisation sociale en faveur de l’éducation
En Guinée, l’éducation est considérée comme étant une responsabilité exclusive de l’Etat. Les familles, les communautés à la base, les autorités locales, les OSC et même, parfois, les structures déconcentrées du MENA ont tendance à croiser les bras et à attendre l’Etat ou, simplement, l’observer.
L’éducation est, et doit être, l’affaire de tous. Une mobilisation, sous l’impulsion du ministère en charge de l’éducation s’avère aussi plus que nécessaire.
- La formation des formateurs et des gestionnaires
Selon les chiffres fournis par le MENA même, 25% des enseignants de l’élémentaire et 48% de ceux du secondaire sont non qualifiés pour enseigner. Sans oublier qu’au privé, le recrutement ne tient, généralement, pas compte des compétences pédagogiques et/ou académiques.
C’est pourquoi, un programme national et pluriannuel de renforcement continu des capacités pédagogiques des enseignants et des capacités managériales des encadreurs devrait être élaboré et mis en œuvre. Ce qui permettrait de qualifier de plus en plus le système éducatif en rehaussant la performance des élèves.
- Le développement des TICE
Les compétences TICE (Technologies de l’Information et de la Communication appliquées à l’Education) sont, aujourd’hui, indispensables. Ils sont un outil d’enseignement dont on ne peut plus s’en passer.
- La promotion de l’éducation préprimaire
On ne doit plus continuer à parler de préscolaire, mais, de préprimaire. Donc, d’un cycle obligatoire et partie intégrante du cycle pré-universitaire. C’est là qu’on pourrait inculquer aux enfants les notions élémentaires de lecture, d’écriture et de calcul. Entre autres !
Cela fait partie des solutions idoines contre la crise de l’apprentissage grandissante que nous connaissons présentement.
Somme toute, retenons que cette analyse des acquis et défis majeurs de la gouvernance du Président Alpha CONDE dans le secteur de l’éducation et de la formation au cours de ses deux mandats sous la 3è république, est loin d’être exhaustive.
L’idée est (était) d’exposer ce qui a été fait, ce qui est en cours et ce qui reste à faire pour permettre à notre cher pays, la Guinée, d’être au rendez-vous de l’« éducation de qualité » à l’horizon 2030.
Aboubacar Mandela CAMARA
Sociologue/Consultant en éducation/Auteur