À l’aune des dissensus politiques profonds que connaît le pays depuis 2019 autour du projet de réforme constitutionnelle et des élections législatives prévues en février 2020, la situation en Guinée est inquiétante. De ces élections dépendra la tenue ou non d’un référendum sur la question de la réforme constitutionnelle, l’accord de l’Assemblée nationale étant obligatoire pour l’organiser. Si la réforme constitutionnelle était adoptée, elle permettrait théoriquement au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat. Même s’il ne s’est pas clairement positionné jusque-là, l’opposition considère cette réforme comme un leurre lui permettant de conserver le pouvoir.
L’opposition politique a donc décidé de boycotter les élections législatives. Les partis politiques se sont certes toujours plaints de l’inefficacité de la Commission électorale nationale indépendante et l’opposition a dénoncé dans le passé le parti pris de l’organe de gestion électorale. Mais c’est bien la première fois que les principaux partis d’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et l’Union des forces républicaines (UFR), s’inscrivent résolument dans une volonté d’empêcher la tenue d’élections. L’origine de cette décision était la question complexe du « fichier électoral » : l’opposition dénonçait l’enrôlement irrégulier et massif de mineurs sur les listes électorales, dans les fiefs du parti au pouvoir, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), entrainant ainsi l’accroissement du corps électoral avec près de 8 millions d’électeurs sur une population totale de 12 millions.
L’adresse à la nation du président Condé, le 31 décembre 2019, invitant le ministre de la Justice à divulguer le contenu du projet de nouvelle constitution, a augmenté les tensions. Actuellement, l’attitude de l’opposition est conditionnée par la volonté du président d’établir une nouvelle constitution, confirmée par le compte rendu du conseil des ministres du 24 janvier 2020 et qui lui permettrait, en théorie, de briguer un troisième mandat, alors que la constitution actuelle n’en permet que deux. L’opposition, majoritairement représentée par l’UFDG et l’UFR, réunis au sein du Front national de défense de la constitution (FNDC), vise donc à des élections législatives équitables, inclusives et crédibles, afin d’empêcher une telle réforme constitutionnelle.
Les clivages partisans entretenus par la structure ethnique des partis politiques rendent très difficile tout processus de dialogue et amenuisent de ce fait la construction d’une communauté politique nationale. Dans ce contexte, la tenue des élections devrait fortement varier selon les bastions politiques : dans les localités acquises par le pouvoir, il sera difficile d’imposer un boycott. En revanche, dans les fiefs de l’opposition, la situation sera plus difficile et aura une incidence sur le taux de participation.
Si la situation de boycott est une aubaine pour les partisans du pouvoir pour s’offrir une majorité, celle-ci est cependant très problématique pour la crédibilité des élections et la représentativité de l’assemblée. Ceci pourrait ainsi constituer un recul démocratique, à l’image du Bénin, sans compter les risques de violences électorales. La Guinée pourrait ainsi poursuivre la tendance ouest-africaine de dégradation de la norme de l’alternance politique.
KABINET FOFANA, Politologue
Président de l’Association guinéenne de sciences politiques
kabifofana@gmail.com
Avec BulletinFrancoPaix