Cinq jours après un double scrutin législatif et constitutionnel boycotté par l’opposition, violemment contesté et endeuillé par la mort de plusieurs personnes, la commission électorale nationale indépendante (CENI) a finalement rendu son verdict, vendredi 27 mars au soir. Sans surprise, la nouvelle constitution soumise à référendum a été adoptée par 92% des voix. Une fausse (quasi) unanimité qui dissimule mal un paysage politique ravagé et l’isolement du pouvoir guinéen.
Sa mise au ban est notable sur la scène internationale. Trois des principaux partenaires de la Guinée – l’Union européenne, les Etats-Unis et la France – qui n’entretenaient aucune illusion sur le sens à accorder aux chiffres – avaient déjà rendu un jugement sans appel concernant le manque de crédibilité du processus électoral. Les uns et les autres ne se sont pas embarrassés de circonvolutions diplomatiques. Quarante-huit heures seulement après le vote, le Quai d’Orsay tranchait : « Le caractère non inclusif de ces élections et non consensuel du fichier électoral, ainsi que le rôle joué par des éléments des forces de sécurité et de défense excédant la simple sécurisation du processus, n’ont pas permis la tenue d’élections crédibles et dont le résultat puisse être consensuel ». Des termes quasiment identiques ont été utilisés par Bruxelles et Washington.
Pression internationale
Les Etats-Unis ont également demandé aux autorités « d’enquêter de manière rapide et transparente sur tous les décès liés aux manifestations et aux élections et que les résultats de ces investigations soient rendus publics ». Officiellement, six personnes – 12 selon l’opposition – ont été tuées dimanche, plus une trentaine d’autres ces six derniers mois. Les organisations de défense des droits humains imputent ce bilan aux tirs des forces de l’ordre mais aucune enquête n’a été ouverte.
« La rapidité de la réaction internationale et le ton employé ne sont pas communs », note un diplomate français. « Mais il est rare ces derniers temps d’avoir une telle mascarade électorale en Afrique de l’Ouest et une telle parodie démocratique », ajoute cette source. Avant même le scrutin, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao, la principale organisation sous-régionale) avaient pris leurs distances avec Conakry. Plusieurs audits avaient en effet conclu à la présence de quelque 2,5 millions d’électeurs suspects sur un total de 7,3 millions de personnes inscrites sur les listes.
Le pouvoir avait alors accepté, sous la pression internationale et singulièrement celle de ses voisins africains, de reporter ce double scrutin. Mais un report de deux semaines seulement. Et sans rien concéder à l’opposition qui demandait un assainissement transparent des listes électorales. Celle-ci exigeait également l’abandon du référendum sur une nouvelle constitution qui, à ses yeux, n’a d’autre but que de permettre au président Alpha Condé, déjà élu deux fois en 2010 et 2015, de se présenter pour un troisième mandat à la fin de l’année 2020. Ce que l’actuelle loi fondamentale lui interdit.
L’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo et l’Union des forces républicaines (UFR) de Sydia Touré ont donc boycotté le double rendez-vous électoral. Un boycott « actif » très suivi dans les fiefs de ces deux partis d’opposition, qui à eux deux pesaient pour 46 % des sièges au dernier parlement, accompagné du saccage de dizaines de bureaux de vote, rendant d’autant plus douteux le taux de participation de 61% annoncé par la CENI.
Scrutin vicié
La ligne de défense du pouvoir est loin d’être infaillible. Convoqué jeudi par le ministre des affaires étrangères, Mamadi Touré, l’ambassadeur de France à Conakry, Jean-Marc Grosgurin, s’est ainsi vu reprocher « l’ingérence française dans les affaires guinéennes ainsi que le parti pris français en faveur de l’opposition », nous indique une bonne source. Peu auparavant, Naby Youssouf Kiridi Bangoura s’interrogeait : « Comment juger un scrutin dont vous n’avez participé ni à l’organisation ni à l’observation ? » Le porte-parole de la présidence, considéré comme un radical dans le camp présidentiel, oubliait de préciser qu’aucun pays, ni même aucune organisation africaine ou autre n’avaient voulu observer, ni cautionner, ce scrutin vicié à la racine.
Le président Alpha Condé n’est pas habitué à pareil traitement. Auréolé de son statut « d’opposant historique » – il avait été condamné à mort par contumace sous la dictature de Sékou Touré (1958-1984) puis emprisonné vingt mois pendant le règne autocratique de son successeur Lansana Conté (1984-2008) – personne n’avait remis en cause son élection en 2010 pourtant controversée (cinq mois de tripatouillages avaient séparé les deux tours de scrutin). Pas plus que celle de 2015, pour le moins surprenante, dès le premier tour. Mais à Paris, Alpha Condé ne peut plus compter sur la mansuétude de ses amis en fonction lors de ces deux scrutins, notamment l’ancien ministre des affaires étrangères (de 2007 à 2010), Bernard Kouchner, ou l’ex-président, François Hollande (2012-2017).
Outre l’adoption de la nouvelle constitution, le résultat des votes du 22 mars devrait, selon toute vraisemblance, déboucher sur un parlement monocolore, acquis au président. Autant de « succès démocratiques » que l’opposition mais aussi les partenaires de la Guinée ont promis de ne pas reconnaître.
Etat d’urgence sanitaire
Dans l’immédiat, à l’heure de compter ses amis, le meilleur allié d’Alpha Condé est probablement le COVID-19. L’état d’urgence sanitaire, décrété jeudi après l’apparition des premiers cas, interdit les rassemblements de plus de vingt personnes. « Nous n’allons probablement pas faire prendre de risques aux gens en les appelant à manifester », nous confie un opposant. Les chefs d’Etat de Côte d’Ivoire et du Niger, principales forces de pression sur Conakry avant le scrutin, ont maintenant d’autres chats à fouetter. « Chacun se replie sur ses affaires intérieures », observe un diplomate français.
Idem à Bruxelles qui étudiait pourtant la possibilité d’appliquer des sanctions personnelles ciblées contre certains responsables guinéens. « C’est aujourd’hui moins probable, admet notre interlocuteur, surtout si l’on ne peut pas s’appuyer sur les pays de la région ». Autant de temps gagné par Alpha Condé qui, toutefois, ne signe pas une victoire définitive. Cellou Dalein Diallo, le chef de l’opposition avait prévenu avant même le double scrutin : « la lutte ne se terminera pas au soir du 22 mars ».
Avec lemonde.fr