Le dialogue, oui, mais quel dialogue ? Telle est la question lancinante à laquelle sont renvoyées les populations guinéennes. En effet, l’histoire politique de la Guinée postcoloniale montre que ni les transitions démocratiques, ni les réformes constitutionnelles, ni les dialogues politiques n’ont réussi à régler le problème de la violence électorale et à organiser la société sous la forme d’un État de droit. C’est ce que permettent de croire la constance des crises post électorales et l’incapacité des institutions politiques et juridiques de satisfaire aux prérogatives de sécurité, de justice et d’égalité. Comme le montreraient l’analyse des pratiques du pouvoir et des modalités de la gouvernance, la culture politique guinéenne ne s’est pas affranchie des pesanteurs qui retardent l’avènement d’un État capable d’être un agent d’unité sociale, de développement économique et politique , à savoir : l’instrumentalisation politique du sentiment communautaire , la personnalisation des pouvoirs publics, le néo patrimonialisme, le dévoiement de la voie légale , l’impunité , la politisation de l’armée, le culte du plus fort. Autrement dit, de 1990 à 2020, toutes les tentatives visant à consolider la paix et favoriser la cohésion sociale en Guinée se sont soldées par des échecs- de la Loi fondamentale de 1991 jusqu’au Rapport de la Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation Nationale ( 2018), en passant par les Accords de Ouagadougou ( 2010), le dialogue inter-guinéen facilité par Said Djinit (2013), l’Accord politique du 20 Août 2015, les Accords politiques du 12 octobre 2016 et la rencontre entre Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé (2018).
Pour que le dialogue ne soit pas qu’une simple palabre
Ce constat impose que nous adoptions un regard critique sur le nouveau cadre du dialogue proposé par la mouvance présidentielle pour mettre fin à la crise politique qui paralyse notre pays depuis le coup de force constitutionnel du 22 mars 2020. On voit déjà que les décideurs et certains acteurs politiques continuent de souscrire à une conception ponctuelle du dialogue, qui renvoie celui-ci à des discussions entre les forces politiques et sociales au sujet des questions économiques et des prisonniers politiques. C’est là une erreur, car, suivant cette vision réductrice du dialogue, il s’agit de décrisper la situation sociale et politique en s’attaquant aux effets du problème et non à sa cause, la désinstitutionnalisation des pouvoirs publics et le triomphe de l’arbitraire politique qui en découle. Or, aucun dialogue social et politique ne pourra sortir la Guinée de la violence électorale et donner un sens à l’État de droit si on n’aborde pas sérieusement la question de l’organisation effective de la sphère publique, ce qui signifie une interrogation collective sur les conditions éthiques, juridiques et institutionnelles de l’exercice du pouvoir. Il nous faut donc penser autrement le dialogue et ses dispositifs en l’inscrivant dans une perspective qui vise une refondation pacifique et démocratique de la société guinéenne. À court terme, on peut vouloir apaiser les tensions ou calmer les esprits au moyen d’un dialogue inclusif. Mais en l’état actuel de l’effondrement de l’État guinéen et de la corruption du lien social, il y a lieu de faire du dialogue un moment susceptible de nous sortir durablement et efficacement du désordre social, du narcissisme politique et de l’anarchie. Nous n’avons pas besoin seulement de nous parler, comme prétendent certains acteurs politiques. Nous avons besoin, par le sens retrouvé du dialogue, que les décideurs politiques s’engagent à consentir au respect d’un minimum de contraintes éthiques et juridiques sans lequel la Guinée demeura pour longtemps sous l’emprise de la violence politique et de l’arbitraire du plus fort.
Pour ce faire, nous devons fixer un cadre du dialogue qui obéit aux critères de l’objectivité et de la crédibilité. Ainsi, ce n’est pas aux différents protagonistes ( la mouvance présidentielle et l’opposition ) de définir unilatéralement le processus du dialogue. Non seulement le dialogue ne peut être placé sous la présidence de Kassory Fofana, mais Alpha Condé surtout ne peut nommer un secrétaire permanent du dialogue. Il en va de l’objectivité et de la crédibilité du dialogue social et politique que son organisation soit confiée à une instance neutre et souveraine. Ces exigences sont d’autant plus importantes que nous avons de bonnes raisons de douter de la bonne foi des autorités guinéennes: depuis son intention de briguer un troisième mandat jusqu’au lendemain des élections du 18 octobre 2020, Alpha Condé et ses soutiens ont opposé une fin de non-recevoir à toutes les propositions de dialogue. Qu’est-ce qui motive maintenant le pouvoir à aller au dialogue alors que le gouvernement a été reconduit et que la Cour Constitutionnelle a acté le troisième mandat ?
Outre l’insistance sur la neutralité du processus, nous pensons que la réussite du dialogue tiendra à la possibilité d’aborder sans ambiguïté aucune le problème de l’alternance au pouvoir. Moralement et juridiquement, le troisième mandat illustre le mépris à l’endroit des institutions et des lois de notre pays. Politiquement, il signifie un manque de légitimité démocratique et une volonté de dominer exclusivement les appareils de l’État. C’est donc une injustice à laquelle il faudra faire face si le dialogue entend ouvrir la voie à une réelle et authentique transition politique en Guinée. On ne pourra pas décrisper la situation politique actuelle en l’absence d’une réflexion sur les conditions d’une alternance pacifique du pouvoir et d’une réorganisation en profondeur de notre société. Nous espérons d’Alpha Condé qu’il puisse nous mettre au seuil de cette entreprise de renouveau social et politique en acceptant sinon un départ négocié du pouvoir, du moins la mise en place d’un gouvernement de transition et de réconciliation nationale et la dissolution de l’Assemblée nationale.
Par Me Halimatou Camara
& Pr Amadou Sadjo Barry
Professeur de philosophie
Cégep de St-Hyacinthe
Québec, Canada