La nouvelle me fut si brutale que c’et seulement maintenant, quelques semaines après sa mort, que je trouve l’énergie de réagir. Amadou Oury, de son vrai nom, n’était pas lui, il était moi. C’était l’autre moi-même, mon alter ego, pour parler comme les Latins. Toute une vie à, deux dès nos cinq ans !
A Porédaka, à Mamou, à Conakry, à Dakar, à Abidjan, à Man, à Grenoble, à Lyon ! Le même âge, le même village, le même ancêtre, le même destin ! Rien ni personne ne pouvait nous séparer sauf cette stupide crise cardiaque survenue au début du mois dernier dans son domicile de Lyon alors qu’il dormait du sommeil du juste. Cette tragique disparition vient à la suite d’une longue série de deuils qui a frappé de plein fouet notre génération.
Je pense à Ibrahima Barry L’Homme, à Moussa Orléans, à Alhassane Diomandé, à Siradiou Bhouria, à Abdoulaye Toubbou, à Boubacar Pancho, à Brialy, à Perco et à bien d’autres. Une génération perdue, une génération que le régime sanguinaire de Sékou Touré a essaimée aux quatre coins du monde ! La génération de la désillusion et du cauchemar pour reprendre la belle formule de Maryse Condé.
Une génération que l’on pensait promise à un bel avenir puisque l’on nous considérait comme les fils de l’Indépendance, les enfants du « Non » à De Gaulle. Nous, nous prenions pour les germes de la nation, les futurs baobabs du Pays. C’est en tout cas comme cela que nous surnommait Monsieur Onipogui Zézé, qui était en Octobre 1958, le directeur de l’école primaire de Porédaka, l’homme qui nous a appris à lever les couleurs et à chanter l’hymne national. « Vous êtes l’avenir de la nation », nous disait-il en nous regardant fièrement défiler au pas. Nous, nous rendrons compte au fil du temps combien il est difficile, voire impossible d’incarner l’avenir d’un pays sans avenir.
Aujourd’hui que la vieillesse nous pousse inexorablement vers la tombe, il ne nous reste plus qu’à mesurer le temps perdu et l’énormité du gâchis. Le rêve guinéen a viré au cauchemar. Ma génération se meurt, mon pays se délite chaque jour un peu plus à cause de la fumisterie sans limite de ses dirigeants. C’est dur, dur de voir mourir ses amis, encore plus dur, mille fois plus dur de voir mourir son pays !
Nous étions pourtant jeunes, dynamiques, studieux et disponibles. Nous étions prêts à cueillir les étoiles ou à déplacer les montagnes pour bâtir ce pays libre et radieux que Sékou Touré nous promettait. A voir l’état de délabrement dans lequel se trouve la Guinée en plein 21ème siècle, on n’a qu’une seule envie : se jeter soit par la fenêtre soit du sommet du mont Kakoulima ! Il est vraiment désespérant de laisser ses descendants dans le dénuement et dans le désespoir, sans aucune promesse d’avenir et sur une terre renommée pour ses énormes possibilités agricoles et minières.
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé », écrivait, le grand poète français, Lamartine. Par son intelligence d’esprit et de cœur, par son amabilité, par l’amour qu’il avait pour la vie et pour les gens, Pacheco laisse un vide difficile à combler.
Que ta chère terre de Guinée que tu retrouves dans un cercueil après des décennies d’exil, te soit légère, mon cher ami !
Tierno Monénembo, in Le Lynx