Comment pouvait-on croire autrement ? Le parti au pouvoir et ses alliés avaient un candidat, on n’avait pas besoin de songer à son sujet, il était connu : on avait battu la campagne pour une nouvelle constitution pour lui, maintenant que cela avait abouti qui, pouvait-on lui préférer ? Son parti n’a d’homme honnête, compétent et expérimenté que lui. Il n’a pas pensé à un successeur encore loin à placer en un autre son espoir. Il est, il a été, il sera le candidat de ce parti qui lui a renouvelé son allégeance.
« Nous sommes du côté de la vérité sous le leadership avisé du Pr. Alpha Condé », avait dit le Premier ministre louangeur comme à ses habitudes. Il avait vanté les progrès économiques engrangés dans « la décade de sa gouvernance ». Lapsus révélateur d’une affabulation. Une décade, c’est dix jours ! Qu’a fait Alpha Condé en dix jours qui soient comparables voire plus grands que les œuvres de ses successeurs ? Le Premier ministre qui se plait à lancer des bravades avait encore dit : « Nous sommes en mesure de dire sans risque d’être démenti que les dix dernières années de la gouvernance Alpha Condé ont marqué le décollage économique de la Guinée. » Takeoff ? Cela veut dire qu’une classe sociale intermédiaire dont l’épargne pourrait servir aux investissements productifs a été construite en dix ans. Une fable !
Pour justifier son propos, il évoque les unités industrielles créées, l’investissement de 10 milliards de dollars dans le secteur minier ayant produit 17 000 emplois directs et 50 000 emplois indirects. Il a aussi parlé de la construction de 10 000 salles de classes, de l’augmentation de la condition salariale des enseignants, de la construction de 200 hôpitaux et centres de santé, de 38 centres de traitement épidémiologique. Il a aussi mentionné l’autonomisation de la femme à travers la construction des centres d’autonomie des femmes (CAF), des complexes hôteliers : 300 hôtels et centres d’hébergements de 7 étoiles. Il vanté les vertus de l’ANAFIC et la construction des infrastructures.
La réalité contraste ses évocations. Combien de Guinéens sont sortis de la pauvreté en 10 ans ? Il y a quelques mois, n’est-ce pas lui qui disait à Labé lors du lancement de l’ANIES : « La croissance économique ne se mange pas. Elle ne nourrit pas non plus les Guinéens. Ce qui intéresse nos populations ce sont les fruits de la croissance » ? Où sont ces fruits-là ? A qui profitent-ils ? « 60 % de nos concitoyens vivent en situation de pauvreté », voilà ce qu’ils avaient dit le 21 novembre 2019 à Labé. La croissance économique engrangée en Guinée est donc « appauvrissante ». Le pays a connu une croissance économique record mais la pauvreté est passée de 47 % en 2007, à 52 % en 2012 et se porte maintenant à 60 %. Qu’en dira-t-on de la pauvreté non monétaire ? Cette croissance économique unijambiste est tributaire de la performance du secteur minier sans effet d’entraînement avec les autres secteurs et avec assez d’externalités négatives.
Combien d’emplois ont-ils été créés ? Quel est le bilan du PNDES ? Quel est le bilan du régime en matière de justice sociale ? Les centaines de Guinéens sont encore en prison et injustement détenus sans aucuns procès. Le Premier ministre est dans le déni quand il dit : « Il n’y a aucun prisonnier politique en Guinée ». Il n’est pas en contact avec la réalité.
Il n’a étonné personne en se livrant à cette rhétorique. Il fallait renouveler l’allégeance à leur champion-celui de l’émergence économique -, il fallait alors refondre les termes et ne pas ressasser ceux connus. Il a réussi et s’y est mis avec assez d’audace qu’il a défi l’opinion nationale et internationale.
Par Ibrahima Sanoh