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Quelle analyse faire de la lettre-réponse de la commission de la CEDEAO relative à l’observation du double scrutin de dimanche ?

La Guinée organise demain 22 mars un double scrutin (législatif et référendaire) dans un contexte de crise politico-sanitaire. Dans ce climat de polarisation de l’opinion publique sur le maintien ou non de ces élections, l’organisation sous-régionale, sous la pression de laquelle la première date a été reportée, a dans une lettre-réponse adressée hier au chef de la diplomatie guinéenne, indiqué ne pas souhaiter déployer des observateurs pour ces-dits scrutins.

Alors, comment analyser cette attitude de la CEDEAO vis-à-vis de la Guinée dans une sous-région ouest-africaine où elle emploie des attitudes différentes selon les pays ?

Précisons tout d’abord que la CEDEAO n’est pas un Etat fédéral sous le magistère duquel les pays membres doivent être gouvernés, mais c’est une organisation d’intégration sous-régionale dont la vocation est l’harmonisation des règles de gouvernance pour parvenir dans un futur plus ou moins lointain à un système fédéral.

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), conformément à son Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance adopter à Dakar en 2001 (Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité), a des responsabilités de surveillance des processus électoraux dans la région Afrique de l’Ouest. Et pour toutes les élections, la CEDEAO envoie deux missions d’observation court et long terme pour évaluer les exercices.

Dans le contexte actuel, deux éléments dudit protocole vont particulièrement nous intéresser : l’organisation des élections et l’observation électorale.

Il faut préciser d’emblée que ce protocole additionnel s’inscrit dans le cadre de la déclaration de Bamako du 3 Novembre 2000 relative au Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone. Dans cette déclaration, l’ensemble des pays francophones réaffirment leur attachement à la démocratie, à l’Etat de droit, à l’organisation d’élections crédibles avec la participation de la société civile dans la conduite et dans l’observation électorale au sein de l’espace francophone. C’est dans ce cadre que certaines organisations de la société civile africaine sont présentes pour observer le double scrutin de demain dimanche.

Dans la section II du protocole consacrée aux élections, deux articles sont particulièrement intéressants à voir :

D’abord, l’article 1 sur les conditions de modification des lois qui gouvernent les élections : « Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques » ici la précision est importante : on parle de modification de la loi électorale, donc pas relatif à une quelconque réforme constitutionnelle. Cependant, si la réforme constitutionnelle peut avoir pour conséquence une éventuelle modification de la loi électorale, cet article entre en ligne de mire. Dans le cas guinéen, il ne s’agit pas d’une modification de la loi électorale mais de la loi fondamentale. Est-ce qu’il y a consensus politique autour de la question ? visiblement non. Est-ce le moyen utilisé est-il légal et légitime ? on peut répondre par l’affirmative, car dans une démocratie, quand il n’y a pas de consensus politique autour d’un sujet, on fait recours au peuple pour trancher. C’est la voie qui semble être utilisée par le pouvoir de Conakry.

Ensuite, l’article 2 consacre l’organisation des élections à intervalle régulière au sein de l’espace communautaire : « Les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates ou périodes fixées par la Constitution ou les lois électorales ».

Que dire alors de cette attitude de la CEDEAO à vouloir torpiller cette disposition communautaire ? cette interrogation est d’autant plus légitime que la Guinée court derrière le renouvellement de son parlement depuis plus d’un an. Le mandat des députés sortants devrait en principe être renouvelé avant janvier 2019. Une absence de renouvellement qui a poussé le président de la république à prendre un décret, après un avis favorable de la cour constitutionnelle, le 11 janvier 2019 à proroger le mandat des députés jusqu’à l’installation de la nouvelle assemblée.

La CEDEAO au lieu d’aider au respect de cette disposition fait tout pour saborder le processus normal des élections en Guinée. Son attitude est d’autant plus malheureuse que c’est à sa demande que le scrutin initialement prévu pour le 1er mars a été reporté en vue d’apporter une expertise technique, une des missions qui lui est confiée par le même protocole en son article 12 sec. II qui stipule : « A la demande de tout Etat membre, la CEDEAO peut apporter aide et assistance à l’organisation et au déroulement de toute élection ». A la faveur de cet article, la commission électorale a fait appel au service de la CEDEAO, pour expertiser le fichier électoral afin de s’assurer de sa fiabilité (une autre condition fixée à l’article 5 du protocole).

A l’issue de sa mission, la CEDEAO a fait des recommandations qui ont été prises en compte et exécutées par l’organe de gestion des élections (Oge). Alors qu’est-ce qui peut expliquer le changement soudain du discours de la commission de la CEDEAO ? on parle plus du fichier électoral mais d’inclusivité des élections. La question que l’on se pose est de savoir : un parti politique a-t-il été empêcher de se présenter à ces élections de demain ? Participer à une élection est un droit, ne pas aussi participer (faire le choix du boycott) est également un droit. Pourquoi vouloir d’une inclusivité quand les protagonistes se refusent de le faire sachant que l’article 2 sur la périodicité des élections n’est pas respectée ? n’est-elle pas du rôle de la commission de la CEDEAO de veiller au respect du dit article ? une réponse à ces questions serait sans doute bienvenue…

Le mandat des missions de la CEDEAO est aussi d’assurer l’impartialité, la transparence et la crédibilité des processus. Elles sont également chargées de la tâche d’évaluer la performance des principaux acteurs de l’élection, en regardant le degré de l’éducation civique, entre autres indicateurs tout en aidant à créer une atmosphère de confiance du public.

C’est l’aliéna 3 de l’article 12 précité qui indique : « De même, la CEDEAO peut envoyer dans le pays concerné une mission de supervision ou d’observation des élections », et une telle « décision en la matière est prise par le Secrétaire Exécutif » aliéna 4.

A l’issue du scrutin, chaque mission d’observation électorale exprime son opinion et formulera, en cas de besoin, des recommandations à l’endroit des différentes parties prenantes au processus électoral.

Après avoir participé à tout le processus préliminaire, pourquoi la CEDEAO décide de surseoir à la dernière minute à l’envoi d’observateurs ? Une telle question ne peut trouver sa réponse que dans une explication politique, et une ingérence dans le processus démocratique de la Guinée, alors bien que ce n’est pas le rôle de la CEDEAO.

Ces derniers mois, la CEDEAO se trouve dans l’incapacité de faire observer les principes qu’elle s’est elle-même dotée, et surtout, on assiste à une application à géométrie variable des mêmes principes. A titre illustratif, le Benin a organisé à la fin 2019 des élections boycottées par l’ensemble des partis d’opposition (non inclusives donc). Où étaient passés le président de la commission Jean Claude Brou et le chantre de l’alternance (comme si c’était une panachée) en Afrique de l’Ouest Mahamadou Issoufou ? ces élections béninoises étaient-elles inclusives ? sans doute dans la tête de ces CHERS MESSIEURS de la géoméocratie.

Quid de l’imbroglio politico-judiciaire en Guinée-Bissau ou des élections récentes du Togo où le sortant rempilait à son 4e mandat ?

Si nous voulons un espace communautaire qui avance et dans le bon sens du terme, les mêmes règles doivent être les mêmes pour tout le monde. Une application à géométrie variable des règles communautaires ne peut que fragiliser l’union et saper l’autorité de ceux-là qui nous gouvernent.

Et pour dire qu’une élection est une affaire nationale, et seul le peuple, peut certifier (expression à la mode) une élection.

 

Par Alexandre Naïny BERETE,

Etudiant en Master II de droit social à l’Université de Nantes/IAE Bordeaux