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[Tribune] Je m’accuse ! (Par Dr Abdoulaye Bah)

En 1966, j’arrivai au collège d’enseignement général de Coléah avec beaucoup d’autres enfants venant de différents quartiers de la banlieue de Conakry.  Plus tard au Lycée du « 2 Août » et à l’université Gamal Abdel Nasser (IPGAN de 1973-1977), j’élargis mon cercle en côtoyant des étudiants venus de toute la Guinée.

L’élément commun qui nous unissait alors était notre désir de voir notre pays s’épanouir pour le bien-être de tous nos concitoyens. Dans nos fréquents débats à l’université ou ailleurs, notre conviction profonde de faire avancer non seulement la Guinée mais aussi le continent africain était clairement notre objectif primordial si nous arrivions un jour à diriger notre nation.

Nous avions mis beaucoup d’ardeur à décortiquer et à critiquer René Dumont, auteur de : « L’Afrique noire est mal partie ». Nous nous élevâmes contre la condescendance de certains Européens qui critiquaient le manque de maturité politique des chefs africains et leur incapacité de diriger et d’organiser nos sociétés pour le bien-être de tous nos citoyens. Nous dénonçâmes de manière véhémente la  suggestion « d’un manque total d’esprit civique parmi nos dirigeants, de leur irresponsabilité dans la gestion des affaires de l’État et de leur absence total de solidarité envers nos populations. » Nous nous sentîmes insultés quand l’observation fût faite que nos dirigeants ne travaillaient qu’au « développement généralisé d’un esprit d’avidité (de lucre) et de rapacité financières….et qu’ils encourageaient la filouterie dans nos pays»[1].

Quarante-trois ans après, je m’accuse de n’avoir pas pris au sérieux cette sonnette d’alarme tirée par ses observateurs avertis.

Aujourd’hui, je regarde mon pays et réalise la catastrophe humanitaire qui y sévit.

  1. Après plus de soixante ans d’indépendance, nous n’avons pas pu créer un système de gouvernance inclusif qui repose sur des institutions stables, indépendantes, capables de promouvoir le bien-être de tous nos citoyens. Nous ne pouvons même pas organiser des élections libres. C’est comme si nous ne savons pas compter de 1 à  Sauf preuve du contraire, je crois que la dernière élection qui refléta la volonté des guinéens fut organisée en 1958 par la France.
  2. Notre économie qui reposait sur un secteur agricole dynamique pendant la période coloniale (exportation de bananes, café, ananas et tant d’autre produits vivriers) est aujourd’hui atrophiée par notre entêtement d’utiliser le sous-sol (mines) pour nourrir le sol. Certaines de nos infrastructures datent de l’époque coloniale. Nos enfants sont réduits à vendre des biscuits et des sardines dans les rues, en pleine circulation, risquant leur vie et limitant l’épanouissement de leur intelligence, pour subvenir aux besoins familiaux. Certains d’entre eux perdent leur vie en mer à la recherche de meilleurs conditions de vie à l’étranger. Cependant, le pays est doté d’immenses ressources naturelles et humaines, mais la gestion de ces ressources, généralement parlant, est passée aux mains d’individus égoïstes et incompétents qui ne défendent que leur intérêts au détriment de ceux des populations..
  3. L’éducation de nos enfants est engloutie dans un système qui est incapable de promouvoir leur succès. Les enseignants ne sont pas rémunérés au niveau nécessaire et la compétence de certains d’entre eux laisse à désirer. Les écoles sont dans un état vétuste. La salle de classe où j’ai étudié en 3eme année de l’école primaire (École de Dixinn) n’a pas changé depuis 1964. J’y suis passé en 2017 pour constater avec étonnement que tout est resté le même sauf les bancs.
  4. Notre système sanitaire est dépourvu de presque tout ; nous ne pouvons même pas nous soigner chez nous. A Conakry, notre capitale, l’Hôpital Ballay, puisqu’il faut appeler les choses par leur noms, est encore là avec les structures de l’époque coloniale. L’hôpital de ma ville natale de Mamou n’a pas changé non plus.  C’est certainement le cas pour la majorité des hôpitaux de l’intérieur du pays.
  5. Nos forces de l’ordre qui participaient jadis au génie rural pour la construction des pistes rurales, routes et parfois à l’agriculture, sont désormais réquisitionnées pour agir comme une garde prétorienne qui protège nos « Néron » et tue nos enfants en plein jour.
  6. Notre justice (à deux vitesses) est inféodée au pouvoir. Deux poids deux mesures. Quoique la majorité des magistrats travaillent à faire valoir un État de droits, leurs efforts sont minés et anéantis par les chefs hiérarchiques qui sont à la solde des gouvernements successifs qui bafouent le droit des Guinéens.

Pourquoi notre pays est arrivé à cette situation catastrophique ?  Pour moi, la réponse est simple, je m’accuse. 

Oui, j’ai démissionné. J’ai évité de critiquer ce qui ne marche pas au pays. J’ai pensé à la préservation de ma vie et de mes acquis. J’ai tourné le dos à mes concitoyens. Je me suis préoccupé de mon succès professionnel dans un pays qui récompense la compétence (les États Unis).  Je me suis concentré sur ma petite famille. Capable de participer à l’essor national, j’ai simplement choisi de regarder ailleurs pour faire valoir mes capacités. J’ai évité de dénoncer ce que je savais être anormale, injuste, inefficient, irresponsable et incompétent dans la gestion du pays et ses gestionnaires.

Oui, je m’accuse parce que je garde le silence pendant que mes camarades participent au soutien  d’un système que nous avions tous promis de combattre et d’éradiquer dans notre pays il y a plus de quarante ans. Je vois bon nombre d’entre eux faire des déclarations dénudées du Cartésianisme que nous avions cependant adopté comme règle de conduite.  Ils sont devenus des sirènes du culte de la personnalité. Ils parlent de chef messianique comme si la gestion de notre bien-être commun est une mission divine confiée à une seule personne. Ils soutiennent aujourd’hui ce qu’ils considéraient jadis comme inacceptable.  Je ne connais pas leur motivation mais je vois clairement leurs actions qui nuisent à notre pays. Quel dommage !

Oui, je m’accuse parce le pays est malade et il a un besoin urgent que tous ses fils et toutes ses filles viennent à son secours.  Comme un adage dit : mieux vaut tard que jamais. Maintenant le temps est venu d’agir autrement, de manière pacifique, pour participer à la démolition du système qui continue à assujettir nos compatriotes.  Nous n’allons plus simplement poser la question « Quo Vadis Domine » ?  Mais participer à la marche pour transformer notre pays, la Guinée, pour finalement réaliser la promesse d’une Guinée Unie et Prospère ou il fait bon vivre pour tous les enfants du pays.

Je finirai en signant mon nom sur cet aveu. Je demeure convaincu que beaucoup de mes camarades du collège Cours 2, du Lycée de Donka et de l’IPGAN pourront certainement y apposer leur signature sans changer fondamentalement son contenu. Ma permission est donnée d’avance.

Pour une Guinée Unie et Prospère[2].

Dr. Abdoulaye Bah

Professeur d’université aux États-Unis

[1] Benjamin Lisan, 2014.

[2] Avant de soumettre ce papier, j’ai écouté avec stupéfaction mon cousin Alpha Condé (oui il est mon cousin) dire dans un Malinké limpide que voter pour les autres candidats est un vote pour Cellou Dalein Diallo.  Il a dit que le Foutah n’a aucun autre candidat.  Peut-être j’étais absent à la réunion du Foutah, mais j’ai travaillé d’arrache-pied en  mon équipe pour être candidat, voir :

https://www.youtube.com/watch?v=7yO2hGYs_yY,

https://guinee-unie.org)

(https://www.guineenews.org/declaration-de-guinee-unie-sur-sa-non-participation-aux-elections-du-18-octobre-2020/).

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