Image archive d’agents de sécurité lors d’une manif à Conakry
Les forces de sécurité ont été associées à des groupes de jeunes lors des violences ayant abouti à au moins 12 homicides illégaux, la semaine dernière en Guinée, a déclaré Amnesty International aujourd’hui. Dans au moins un cas, ils sont accusés d’avoir été impliqués conjointement.
Sur la base d’une trentaine de témoignages, de vidéos et de photos authentifiées et géolocalisées par ses experts, l’organisation confirme que 12 manifestants et passants ont été tués à Conakry et près de Mamou dont dix par des balles tirées par les forces de sécurité. Les faits se sont produits principalement le 22 mars, le jour d’élections législatives couplées à un vote contesté sur l’adoption d’une nouvelle constitution.
«Ces morts et blessés jettent une fois de plus le discrédit sur les forces de sécurité et sur les autorités guinéennes. Le bilan et la version des faits présentés jusqu’à présent par ces dernières font douter de leur volonté de garantir un Etat respectueux des droits humains,» a déclaré Fabien Offner, chercheur au Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale d’Amnesty International.
« Cette fois, des jeunes qui ne sont pas en uniformes ont été identifiés aux côtés des forces de sécurité ayant commis ces violations. Ceci ne doit pas rester impuni. Les autorités doivent diligenter une enquête indépendante afin de traduire les forces de sécurité et les jeunes suspects devant les tribunaux ordinaires. »
12 morts, 5 enterrés sans autopsie
Amnesty International a documenté le 22 mars et les jours précédents et suivants, d’importantes violations des droits humains commises par les forces de défense et de sécurité dans plusieurs villes du pays.
Face aux manifestations de l’opposition contre la tenue du double scrutin, les forces de défense et de sécurité ont fait un usage excessif et aveugle de la force contre les manifestants et passants, en ayant recours à des tirs à balles réelles, des gaz lacrymogènes et des coups de matraque.
Des vidéos analysées par l’organisation montrent des éléments de ces forces poursuivre un groupe de manifestants en tirant dans leur direction depuis un véhicule, et porter des armes de guerre de type semi-automatique en position de tir horizontal.
Au moins 10 manifestants et passants ont été tués par balle dont la majorité le 22 mars à Conakry. Au moins deux autres personnes sont décédées, l’une après avoir été heurtée par un véhicule des forces de sécurité, l’autre après avoir été touchée par balle puis lynchée par un groupe de jeunes. Cinq des victimes ont été atteintes à la tête ou à la poitrine.
Au moins cinq des victimes ont été enterrées sans que les corps ne soient soumis à une autopsie, suite au refus des morgues de recevoir ou de conserver leurs corps, pour des raisons qui n’ont pas été communiquées aux familles.
Amnesty International a pu échanger avec les proches des 12 personnes tuées, ceux de personnes blessées par balle, des témoins et des membres du personnel médical. Ils ont identifié la présence sur les lieux de l’armée, la police, la gendarmerie et l’Unité spéciale de sécurisation des élections (USSEL) déployées dans la capitale. Ils affirment que les victimes, dont un enfant de 12 ans atteint au front le 21 mars dans un quartier de Conakry, ont été tuées par balle.
Le parent d’un mécanicien de 20 ans à Kégnéko (préfecture de Mamou) a déclaré à Amnesty International : « Vers 14h le 22 mars, il y a eu un mouvement à Kégnéko. Des témoins ont vu le commissaire de police tirer à balles réelles. C’est le seul qui était armé. Notre fils a été touché. On n’avait pas compris qu’il était décédé … on l’a cherché et on a retrouvé son corps. Mais la police n’a pas accepté qu’on le récupère. »
Un autre manifestant, Mamadou Bailo Diallo, a été tué le 21 mars d’une balle dans la tête. Un de ses parents a déclaré : « J’ai entendu un coup de feu et des gens ont crié qu’ils ont tiré sur lui. Je suis sorti et j’ai vu les jeunes le transporter à la clinique. De la clinique, on est allé à l’hôpital Donka vers 20h. Il a rendu l’âme à 23h30. Le corps a été déposé à la morgue et depuis le lundi 23 mars, on reçoit des appels de l’hôpital pour venir chercher le corps. On nous a dit que ce sont les gendarmes qui ont tiré sur lui.’’
Un jeune de 18 ans tabassé à mort
A Conakry, des groupes de jeunes ont commis des violences le 22 mars en association avec les forces de sécurité. Ce jour-là, un jeune de 18 ans, Alpha Oumar Diallo, a été blessé par balle à la cuisse au quartier de Dar es Salam avant d’être lynché par un groupe de contre-manifestants. Il est décédé quelques minutes après.
Le même jour, Alhassane Diallo a été frappé par un groupe de contre-manifestants puis embarqué par la police. Un de ses parents a déclaré à Amnesty International : “Il s’est retrouvé dans des échauffourées entre pro et anti nouvelle constitution. Ceux qui étaient favorables l’ont frappé presque à mort. On ne pensait pas qu’il allait s’en sortir. Des amis ont vu la scène mais ils ne pouvaient pas intervenir. Après l’avoir frappé, ils ont appelé la police qui l’a pris alors qu’il était blessé. Ils l’ont amené à la police sans même passer par l’hôpital et ils l’ont mis en cellule. Il a été libéré le 25 mars.”
Une vidéo authentifiée par Amnesty International et tournée le 22 mars dans une rue du même quartier montre des jeunes s’abriter derrière un véhicule occupé par des gendarmes. On les voit lancer des pierres avec les gendarmes en direction d’un autre groupe de jeunes eux-aussi à l’origine de jets de pierres.
Un membre d’une famille dont certains ont été blessés par ces jets de de pierres a déclaré à Amnesty International : « Nous étions assis dans la cour. Nous avons entendu des tirs derrière la maison. Des forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes. Après les ‘enfants’ sont venus derrière en jetant des cailloux. Mes deux fils ont été blessés par les pierres, les vitres de notre maison et de nos voitures ont été cassées.»
Au moins quatre journalistes ont été blessés dans l’exercice de leur fonction à Conakry et Labé le 22 mars par des groupes de jeunes favorables au pouvoir et par des forces de sécurité.
Violences meurtrières et lieux de culte détruits à Nzérékoré
A Nzérékoré, à plus de 800km de la capitale, des affrontements ont éclaté le jour du vote et se sont poursuivis le lendemain. Selon un communiqué du Collectif des organisations de défense des droits de l’homme en Guinée forestière, au moins 22 personnes ont été tuées et 100 personnes blessées, et des corps auraient été enterrés de nuit sans l’autorisation des familles de victimes.
Au cours des violences, plusieurs lieux de cultes dont au moins trois églises ont été détruits et incendiés.
« A Dorota, l’église a été incendiée le 22 vers 21h. C’est un bâtiment de 2000 places. Le toit est complètement effondré, les murs sont branlants. C’est une œuvre à reprendre à zéro… Je ne sais pas ce qui a pu justifier de telles attaques… », a déclaré un témoin.
Avec Amnesty International