Addis Abeba/Dakar/Nairobi, 17 juin 2020 – A l’occasion de la commémoration de la Journée de l’enfant africain qui se tient tous les 16 juin, et qui est placée cette l’année sous le thème de “l’Accès à des systèmes judiciaires amis des enfants en Afrique”, l’Union africaine et l’UNICEF ont lancé la campagne “Mon nom est personne” : accélérons les droits des enfants à une identité légale et l’accès aux services, dont la justice amie des enfants. Le lancement de cette campagne est particulièrement d’actualité alors que les inquiétudes augmentent quant à la menace de voir reculer l’enregistrement des naissances à cause de la pandémie de la COVID-19.
Reconnaissant avec force que l’enregistrement des enfants à la naissance est l’une des composantes-clefs pour accélérer l’accès des enfants à des systèmes judiciaires amis des enfants, pour tous les enfants, la campagne vise à rallier les États membres de l’Union africaine autour d’une rapide mise en œuvre et d’un engagement en faveur de l’enregistrement universel des naissances pour tous les enfants en 2030, et de l’urgence à repositionner l’enregistrement civil et les statistiques vitales en Afrique, pour s’attaquer à l’indignité de l’invisibilité.
En analysant les éléments d’un système judiciaire ami des enfants, incluant l’application d’une approche basée sur les droits de l’enfant en vue d’un accès à un système judiciaire ami des enfants en Afrique, la campagne “Mon nom est personne” constate que les enfants dont la naissance n’a pas été enregistrée et qui ne peuvent pas prouver leur âge, sont plus vulnérables à la marginalisation, la discrimination, les abus et aux risques associés en termes de protection, tels que le mariage des enfants, le travail des enfants, l’enrôlement dans des groupes et forces armés, et dans des trafics.
Un système judiciaire ami des enfants se réfère à toutes les procédures de nature judiciaires ou administratives, formelles ou informelles, où les enfants sont en contact avec, ou sont impliqués dans des actions civiles, criminelles ou administratives.
La campagne ne met pas simplement l’accent sur le rôle-clef que joue l’enregistrement des naissances pour prouver l’éligibilité d’un enfant à la justice, mais elle souligne aussi que les idéaux de l’Agenda pour l’Afrique 2063 et la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant ne seront pas atteints sans sécurisation, protection et promotion des droits des enfants comme moteur de la renaissance africaine.
La numérisation de l’enregistrement des naissances a fait gagner des points dans un certain nombre de pays. En Namibie, où l’enregistrement des naissances est proche de 80%, la numérisation est bien avancée. Le Mozambique a accompli des progrès notables en digitalisant les services d’enregistrement aux niveaux décentralisés. Au Ghana, la montée en puissance d’un système mobile d’enregistrement des naissances a fait passer l’enregistrement des naissances de 63 pour cent en 2016 à 80 pour cent en 2019.
Pourtant, l’Afrique est confrontée à d’importantes fractures numériques et très peu d’habitants ont accès aux services digitaux, notamment l’enregistrement civil. Dans la plupart des pays, le système repose sur une combinaison entre des processus papiers et numériques, avec pour objectif stratégique de passer à des données numérisées. Pour relever ces défis existants ou émergents, l’Union africaine a adopté en 2020 la Stratégie de Transformation Digitale 2020-2030, affirmant le rôle des technologies digitales et de l’innovation dans la réalisation de la vision et des objectifs de l’Agenda 2063 de l’Union africaine et des Objectifs de développement durable des Nations unies.
« Nous devons changer nos systèmes, et nous sommes engagés à avancer vers des solutions digitales, sûres et accessibles. En numérisant les systèmes d’enregistrement civils et en centralisant les données sous la forme d’une identité légale, nous pouvons mieux coordonner les services, ce qui est particulièrement important pour les enfants des zones reculées ou affectés par des conflits ou catastrophes, quand ils passent les frontières », a déclaré le Pr Harrison Victor, Commissaire aux Affaires économiques de l’Union africaine. « Le lancement de cette campagne “Mon nom est personne” fera progresser les actions étroitement imbriquées en faveur de l’accès à la justice des mineurs, en partant de la question éminemment vitale de l’enregistrement des naissances, et elle assurera également que ces activités importantes sont hébergées sur des plateformes digitales. C’est une synergie gagnant-gagnant », conclut-il.
L’Afrique a réalisé des progrès considérables ces dernières années pour améliorer les systèmes d’enregistrement civil et de statistiques vitales, et l’enregistrement des naissances en particulier. A cet égard, l’interopérabilité entre les plateformes de santé et l’enregistrement civil s’est avéré être un facteur de changement sur le continent africain, source de gains significatifs. Des pays comme l’Éthiopie, le Ghana, le Mali, la Namibie et l’Ouganda ont presque doublé l’enregistrement des nouveau-nés en rendant la santé et l’enregistrement civil interopérables. Au Sénégal, entre 2014 et 2017, l’enregistrement en routine des enfants a augmenté de 44 pour cent dans les quatre régions où les points d’enregistrement ont été établis au niveau des centres de santé. En Tanzanie, la décentralisation de l’enregistrement des naissances au niveau des autorités locales et des services de santé locaux a augmenté les taux de 10 pour cent en 2012 à plus de 80 pour cent en 2019 dans 13 districts-cibles.
Mais les taux de progression actuels sont insuffisants pour atteindre l’objectif de développement durable d’une identité légale pour chaque enfant, dont l’enregistrement des naissances d’ici 2030. Aujourd’hui, l’enregistrement à la naissance des enfants de moins de 5 ans en Afrique est de 52 pour cent. Alors que l’Afrique du Nord est proche de la couverture universelle, les taux dans les autres régions sont encore loin derrière. Ces trois dernières années, en Afrique de l’Ouest et du Centre, la moyenne du nombre d’enfants de moins de 5 ans enregistrés a augmenté de 45 pour cent à 53 pour cent, ce qui équivaut à des millions d’enfants supplémentaires enregistrés.
Malgré ces progrès prometteurs, Marie-Pierre Poirier, Directrice régionale de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, estime que des mesures plus ambitieuses doivent être prises pour atteindre la couverture universelle en 2030. « Nous avons vu le potentiel qu’il y a à lier l’enregistrement des naissances aux plateformes de santé, mais on peut faire bien plus. En République Démocratique du Congo, environ 80 pour cent des naissances se produisent dans des centres de santé, or seuls 38 pour cent des enfants sont enregistrés à leur naissance. Dans le pays le plus peuplé d’Afrique, le Nigéria, l’enregistrement des naissances a augmenté de 30 pour cent en 2008 à 43 pour cent en 2018 grâce à des investissements dans l’enregistrement des naissances par les plateformes de santé. En couplant l’enregistrement des naissances à la vaccination, des millions d’enfants supplémentaires pourraient avoir une identité légale de façon pérenne », a-t-elle déclaré.
La campagne nouvellement lancée met également en garde contre les risques que la pandémie de COVID-19 fait courir aux progrès récents, et qui pourraient être perdus. La pandémie de COVID-19 impacte à la fois les services de délivrance des enregistrements civils et l’utilisation de ces services. Plusieurs pays ont introduit des confinements et restrictions. De nombreux centres d’enregistrement sont fermés, les heures d’ouverture sont généralement réduites, l’accessibilité et la disponibilité des services restreintes. Les points d’enregistrement sont souvent mal équipés pour répondre aux exigences d’hygiène et de sécurité sanitaire. L’utilisation des services est affectée par la peur de la contamination ou le manque de transports, en particulier dans les zones reculées. L’utilisation des services est aussi en recul.
Tandis que les réformes de l’enregistrement civil national ont été reportées ou suspendues dans la plupart des pays avec la pandémie de COVID-19, la modernisation des systèmes d’enregistrement vers la digitalisation est une priorité pour le continent et une action-clef en vue d’un enregistrement universel des naissances. Dans ce contexte, l’Union africaine et l’UNICEF lancent un Appel pour :
- Que les services d’enregistrement à la naissance soient inclus dans les réponses d’urgence à la COVID-19 pour renforcer les soins de santé primaires vers des modèles innovants à généraliser.
- Que les enregistrements des naissances soient numérisés pour améliorer l’accessibilité et la disponibilité des services en période de COVID-19 et au-delà.
- Que toute opportunité pour intégrer aux registres d’état civil les enfants n’ayant pas de certificat de naissance soit saisie. Ces plateformes incluent en premier lieu les écoles quand les enfants retourneront en classe, mais aussi les services de protection sociale existants ou en développement.
Avec la montée en puissance de ces interventions, l’Afrique peut émerger de la pandémie comme un lieu où l’enregistrement universel des naissances sera une réalité.