Rien ne dit qu’un nouveau Rawlings surgira bientôt des brumes pour nous consoler de celui qui vient de nous quitter tant l’ambiance est morose. Aucune lueur d’espoir, aucun messie en vue !
Nos économies sont à bout de souffle. Le drame de l’émigration s’aggrave. Messire Coronavirus redouble de férocité. L’horizon politique nous casse le moral. Dans les années 90, l’alternance au pouvoir nous semblait à portée de main. 2021 a définitivement balayé cette belle illusion.
En proie au prurit du énième mandat, nos démocraties succombent une à une et il serait naïf de croire que la maladie s’arrêtera d’elle-même, avant peu. Les tripatouillages institutionnels, les réélections à marche forcée nous renvoient des signaux inquiétants. Nous sommes obligés de tout revoir à commencer par notre manière de penser. Et si l’on admettait enfin que ce ne sont pas nos sociétés qui sont archaïques mais nos élites ? Qui donc nous a infligé le spectaculaire recul démocratique que nous venons de vivre ?
Ni les ploucs du village ni les pauvres hères des bidonvilles mais de grands intellectuels bien au fait et des difficultés de l’Afrique et des enjeux du monde moderne. Ces grosses têtes surdiplômées qui ont passé le plus clair de leur temps dans les salons de Paris et de New York savent pourtant que la démocratie, je veux dire l’alternance légale et régulière au pouvoir n’est pas, compte tenu du passé, un luxe mais une nécessité vitale pour l’Afrique. Ces messieurs savent que notre continent n’a qu’un seul et unique problème : le pouvoir personnel qui, presque toujours, devient clanique et illimité.
Tous les autres en découlent.
En entrouvrant la lucarne de la démocratie, les Conférences Nationales des années 90 avaient compris qu’elles devaient poser un verrou pour nous prémunir des phobies du passé : la limitation du nombre de mandats.
Ce verrou vient de sauter. Ceux qui en sont les auteurs par simple ambition personnelle, prennent devant leurs concitoyens et devant l’Histoire une lourde responsabilité. Ils donnent aux vieux dinosaures un alibi de taille et aux tout nouveaux présidents, un très mauvais exemple à suivre.
En attendant, le rêve est brisé, bel et bien brisé. Pour longtemps, la fête a pris la couleur du deuil et le banquet démocratique, le goût du ricin. Le coup est dur mais le combat doit continuer. Seulement, on ne pourra avancer en fermant les yeux comme s’il ne s’était rien passé à Conakry et à Abidjan, fin 2020. Nous devons marquer le coup parce que notre vie politique doit impérativement s’ouvrir aux bonnes mœurs en renouant avec le sacré. Nous devons marquer le coup parce qu’il est inadmissible que ce soit la fine fleur de notre intelligentsia qui nous replonge dans la nuit noire du parti unique, fût-il perceptible ou masqué, avec son interminable cortège de répression, de ségrégation ethnique, et de stagnation économique et sociale.
Consolons-nous en nous disant qu’Alpha Condé et Alassane Ouattara ne sont pas des dieux. Ce sont des humanoïdes comme vous et moi. Si certains d’entre nous leur sont égaux, d’autres leur sont nettement supérieurs. Je pense au président Ould Abdelaziz de Mauritanie (victime en ce moment d’un harcèlement judiciaire dissuasif pour ceux qui, à son exemple, voudraient partir à temps). Je pense au président Issoufou du Niger qui a parfaitement réussi sa sortie ; une sortie de haut vol, une sortie d’artiste telle qu’on la rêve en Guinée, en Guinée Equatoriale, au Congo, au Cameroun, au Gabon et ailleurs.
Ah, si tous les présidents africains avaient la grandeur et la noblesse d’âme de Ould Abdelaziz et de Issoufou !
Par Tierno Monénembo