Dans les milieux chrétiens, il passe plutôt pour un conservateur, plus proche de Monseigneur Lefebvre que de Don Helder Camara, l’apôtre de la Théologie de la Libération en Amérique Latine. Mais en Guinée, son pays d’origine, Monseigneur Sarah est une véritable icône.
C’est la voix des « sans voix », le héraut de la majorité silencieuse, le point focal des frustrations collectives, lui qui est pourtant issu de la minorité sur le plan ethnique aussi bien que sur le plan religieux : les Chrétiens représentent moins de 10% de la population guinéenne alors que les Coniaguis (son ethnie) n’en totalisent même pas 1 %.
Comme Desmond Tutu, cet ancien archevêque de Conakry devenu Cardinal n’a jamais sa langue dans la poche. A tue-tête ou à demi-mot, il interpelle les grands de ce monde dès qu’ils s’éloignent de la morale et du droit. Travail périlleux, travail ingrat au pays de Sékou Touré, cette Guinée paradoxale, où la nature est prodigieuse, et les mœurs politiques, particulièrement barbares.
La ressemblance entre les deux hommes ne tient pas qu’à cela. Elle va jusque dans les détails les plus personnels : la soutane sombre, à la coupe sévère ; le teint noir anthracite, le sourire lumineux; la componction afférant à la fonction (même si, chez le Sud-africain, celle-ci s’accommodait parfaitement de rafales d’éclats de rire et de belles plaisanteries.)
D’abord et avant tout, ce sont tous les deux, des hommes de Dieu, des hommes détachés des choses matérielles, qui mettent l’Esprit au-dessus de tout dans un continent où, enclins aux courbettes et à la démagogie, les prêtres et les marabouts se vouent davantage au pouvoir temporel qu’à celui de l’Eternel.
Deux anecdotes attestent de la liberté d’esprit et de la forte personnalité de celui qui fut le premier archevêque noir d’Afrique du Sud. Il avait au vu et au su de tous, tancé Mandela, le grand « Madiba », lui reprochant de percevoir un salaire trop élevé. Il avait dans la même foulée et devant lui, vertement sermonné le président Bill Clinton pour ses relations coupables avec Monica Lewinsky.
De même que Desmond Tutu ne s’est jamais compromis ni avec l’odieux système de l’apartheid ni avec celui, corrompu de l’ANC, Monseigneur Robert Sarah ne s’est mouillé avec aucun des dirigeants qui se sont succédé à la tête de la Guinée, aussi diaboliques, soient-ils ! Au contraire, il a condamné sans relâche la corruption et la sanglante répression dont ils se sont tous rendu coupables. Il a été le premier à alerter l’opinion sur les dérives dictatoriales du Lieutenant-Colonel Mamadi Doumbouya, l’homme que l’on avait pris un peu trop vite pour l’envoyé du Ciel, le sauveur tant attendu d’une Guinée à l’agonie.
A Conakry, l’heure est à la récupération des biens de l’Etat. Entreprise délicate dans un pays où depuis toujours, les officiels ont confondu bien personnels et biens administratifs. Alors qu’il a intimé l’ordre aux principaux leaders de l’opposition de quitter leurs domiciles (qui seraient des bâtiments publics), le chef de la junte a décrété la célèbre « Case de Bellevue » comme propriété privée de la famille Sékou Touré. « Faux, a immédiatement rétorqué, notre Cardinal, ce domaine appartient à l’église ! »
Aucune raison d’en douter : Monseigneur Sarah ne parle jamais à la légère et la fameuse « Case » est contiguë au lycée Sainte-Marie, l’ancien Séminaire de Conakry. Cela n’a pas empêché Madame Andrée Touré, la veuve du tyran de sortir de ses gongs et de proférer à l’encontre de notre prélat, des propos dignes de Renan et de Gobineau : « Les Coniaguis étaient en retard. C’est Sékou Touré qui leur a appris à porter des habits ».
Il va sans dire que le putsch du 5 septembre a été un bond en avant et que le débat politique guinéen a pris de la hauteur.
Tierno Monénembo, In LePoint