Le milliardaire Beny Steinmetz sera jugé en Suisse pour corruption et usage de faux. Le procureur, qui a déposé un acte d’accusation contre l’homme d’affaires israélien, l’accuse d’avoir versé plusieurs millions d’euros de pots-de-vin en échange de l’octroi d’une concession minière dans le sud de la Guinée.
Dès 2005, l’objectif du milliardaire est d’obtenir le permis d’exploitation du bloc 1 et 2 de la mine du Simandou, en Guinée. C’est le plus grand gisement de fer jamais exploité en Afrique.
Pour cela, selon le procureur de Genève, Beny Steinmetz n’hésite pas à sortir des millions de dollars. Environ dix millions auraient ainsi été décaissés pour l’une des épouses du président guinéen de l’époque, Lansana Conté. Des commissions ou pots-de-vin versés par Beny Steinmetz et sa société BSGR, selon le ministère public de Genève.
Outre le milliardaire, le procureur accuse également le Français Frédéric Cilins, directeur de BSGR Guinea, et Sandra Merloni-Horemans, directrice du groupe BSGR à Genève, d’avoir émis des fausses factures et des faux contrats.
Le milliardaire franco-israélien arrive à ses fins en 2008. Un décret présidentiel retire ces concessions à Rio Tinto, le géant miner anglo-australien, pour les octroyer à l’entreprise de Beny Steinmetz. À l’époque, BSGR avait officiellement acheté le permis minier pour environ 160 millions de dollars.
« L’affaire du siècle »
Sauf que deux ans plus tard, BSGR cède une partie de sa concession à l’entreprise brésilienne Vale. Et c’est « l’affaire du siècle », peut-on lire dans la presse britannique en 2010. BSGR réalise une plus-value spectaculaire. L’entreprise vend 51% de sa concession pour 2,5 milliards de dollars, soit l’équivalent du budget total de la Guinée, selon la loi de finances 2019.
Cependant, ce coup de poker est concomitant avec l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé en 2010. Ce dernier réclame un audit du secteur minier. Pendant son premier mandat de 2010 à 2015, plusieurs procédures judiciaires sont enclenchées en Guinée et à l’international contre le Franco-Israélien et son groupe. Et l’État guinéen retire à BSGR ses permis d’exploitation à cause des soupçons de corruption.
S’engage alors une longue bataille judiciaire internationale. D’abord à New York, où réside Mamadie Touré, l’une des épouses de l’ex-président Lansana Conté qui aurait reçu les fameux pots-de-vin. En 2013, un collaborateur externe de BSGR avoue lui avoir proposé 20 000 euros. En échange, elle devait détruire des documents compromettants autour de l’attribution du permis minier. Elle devait aussi fuir sa résidence aux États-Unis pour échapper à l’enquête du FBI.
Sauf que le FBI ne s’arrête pas là. En mai 2013, à Conakry cette fois, c’est Ibrahima Sory Touré, le directeur de BSGR Guinée, qui est emprisonné dans ce même dossier de pots-de-vin. Sept mois plus tard, il est relâché. Aujourd’hui encore, Amadou Bah, le directeur de l’ONG action mines Guinée s’interroge : la justice guinéenne a-t-elle ou non abandonné ses poursuite contre Ibrahima Sory Touré ?
Toujours est-il que la bataille juridique se poursuit en Israël, où réside Beny Steinmetz, devant le centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Elle continue en Guinée, et désormais à Genève.
« Dans le cadre de cette procédure judiciaire, les autorités guinéennes ont envoyé une commission rogatoire à Genève, explique Maître Marc Bonnant, l’avocat de l’homme d’affaires franco-israélien. Et la procédure genevoise est née de cette procédure de commission rogatoire décernée par la Guinée. »
L’affaire des 10 millions est au centre de nombreux procès. Mais finalement, un accord récent assez obscur va permettre de régler le contentieux entre BSGR et l’État guinéen.
Nicolas Sarkozy en médiateur
C’est alors que Nicolas Sarkozy est convié comme médiateur. En jet privé, l’ancien président français se rend à Conakry le 21 février dernier. Il est accompagné de Beny Steimetz dont l’assignation à résidence avait été levée en 2017 par la justice israélienne.
Selon la Lettre du continent, cet entretien est le fruit de négociations « conduites depuis un an à Conakry, à Paris, mais surtout à Londres par Tibou Kamara, le ministre de l’Industrie et conseiller spécial d’Alpha Condé ».
Fin février, après cette visite, BSGR annonce renoncer à ses droits sur les blocs 1 et 2 de Simandou. « Cette question a été résolue à l’amiable », déclarait le 1er mars le ministre des Mines Abdoulaye Magassouba dans une émission de la radio Espace FM. Comprenez plutôt que l’État guinéen abandonne ses poursuites contre BSGR.
Par ailleurs, le groupe de Beny Steimetz obtient en contrepartie les droits d’exploitation d’une mine de fer de Zogota, en partenariat avec Niron Metals. Le dont le directeur général de ce groupe britannique n’est autre que Sir Michael Davis, également trésorier du parti conservateur à Londres.
« Beny Steinmetz se revoit accorder l’exploitation des droits qui lui avaient été expropriés, raconte son avocat marc Bonnant. Quand je dis lui, c’est inexact. Pour simplifier, je dirais qu’il est dans la galaxie d’une fondation dont il est le bénéficiaire. »
Accord opaque
C’est un accord opaque basé sur les seules déclarations du groupe BSGR et celles du ministre guinéen des Mines. Aucun document officiel qui reprend les points essentiels de l’accord. Qu’est-ce qui revient à Beny Steimetz ? Quelles sont les conditions de négociation avec la société Niron Metals ? Qui va reprendre les blocs 1 et 2 du mont Simandou ?
Une chose est sûre : l’abandon des poursuites judiciaires par l’État guinéen n’a pas empêché le procureur suisse de clore son enquête et de déposer un acte d’accusation. Beny Steimetz risque à Genève jusque dix ans de prison.
RFI