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[Tribune] L’avant-projet de nouvelle Constitution : innovation ou dissimilation ? (Aly Souleymane Camara, Analyste politique)

Au soir du jeudi 19 décembre 2019, le Président de la République de Guinée, Pr Alpha Condé a rendu public son intention de doter la Guinée d’une nouvelle Constitution. Cette déclaration du Président intervient dans un contexte où le débat sociopolitique du pays est essentiellement dominé par non seulement des séries de manifestations déclenchées par les membres du FNDC (Front National pour la Défense de la Constitution), mais aussi des interrogations de la part d’une bonne partie de l’opinion nationale et internationale sur la réelle volonté du chef de l’Etat, de respecter scrupuleusement les dispositions des articles 27 et 154 de la Constitution du 07 mai 2010.

Peut-on résumer cet avant-projet de nouvelle Constitution comme l’expression d’une rupture de transition politique et institutionnelle ou la résultante d’une manœuvre qui viserait à accomplir un calendrier inavoué ?

Face à une telle dichotomie juridico-politique, nous ferons dans la première partie de notre travail, une analyse critique de certaines dispositions dudit projet de nouvelle Constitution. Et, dans la deuxième partie, nous déterminerons les conséquences liées à tout changement spontané de la Constitution.

En effet, j’adhère comme disciples à la conclusion du Pr Lanciné Kaba qui, dans son ouvrage intitulé ‘’Lettre à un ami sur la politique et le bon usage du pouvoir’’ (1995) édition présence africaine déclarait : « Une Constitution soigneusement réfléchie et élaborée par des spécialistes, choisis sur la base de leur compétence et leur intégrité sert de miroir pour le peuple afin de se projeter dans l’avenir. Une bonne Constitution est à l’image de la société à laquelle elle s’applique ; elle en reflète les valeurs et tend à les améliorer. Les Constitution ont un caractère singulier, rare et manifeste ».

Or, l’une des problématiques auxquelles la quasi-totalité des Etats africains sont confrontés depuis « l’ouverture démocratique » des années 90 est sans nul doute la stabilité des textes constitutionnels. Certains parmi les dirigeants du continent cherchent toujours à modifier ces textes dans le but de leur offrir un autre mandat de plus.

Pour revenir au cas spécifique de la Guinée, il sied de rappeler en amont que l’histoire politique de notre pays a toujours été parsemée d’instabilité institutionnelle. A bien des égards, cette regrettable situation a, et continue d’engendrer des crises sociopolitiques et économiques dans le processus évolutif de notre pays.

Ainsi, parlant de cet avant-projet de nouvelle Constitution, comme c’est de cela l’objet de cette tribune, nous pouvons à présent faire une analyse critique de certains de ses articles.

A l’évidence, la démarche n’est nullement pas illégale, mais la spontanéité avec laquelle ce projet est intervenu et l’introduction de certaines dispositions en violation avec l’esprit de la question d’intangibilité constitutionnelle, nous amène avoir des interrogations sur les réelles intentions du principal porteur du projet ; car rien dit au sujet de son avenir politique.

Ensuite, nous ignorons jusque-là le statut et l’identité des « experts » qui ont fait figure de proue dans l’élaboration dudit projet. C’est pourquoi, l’on se demande par ailleurs, s’ils ont été choisis pour « servir une cause particulière afin de confectionner un habit constitutionnel sur mesure » ou de doter la Guinée d’une Constitution qui prendrait en compte les nouvelles mutations sociales, économiques et politiques survenues au cours des trois dernières décennies ?

En effet, notre premier champ d’analyse portera sur quelques nouvelles dispositions introduites dans le projet de nouvelle Constitution, plus précisément l’article 40 sur la durée et le nombre de mandat du Président de la République et l’alinéa 1 de l’article 111 sur le mode de désignation du Président de la Cour constitutionnelle.

1ère observation : la durée du mandat

Contrairement aux dispositions de d’article 27 de la Constitution du 07 mai 2010 qui stipule que : « le Président de la République de son man est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de 5 ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non », l’article 40 de ce projet de nouvelle Constitution représente une menace dangereuse contre notre système démocratique. L’adopter à l’état actuel, c’est d’ouvrir non seulement une autre phase transitoire de notre système démocratique, mais aussi et surtout de porter atteinte à l’esprit de la « norme supérieure » de notre pays : la Constitution, notamment les questions d’intangibilités constitutionnelles qui, de mon point de vue, restent et demeurent une des avancées significatives de notre système démocratique.

2ème observation : le mode de désignation du Président de la Cour constitutionnelle

L’alinéa 1 de l’article 1 de la loi organique portant création, organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle stipule que : « la Cour constitutionnelle est la juridiction gardienne de la Constitution ». Dit autrement, elle est l’organe chargé d’assurer la suprématie de la Constitution. De ce point de vue, les procédures et les critères de désignation des membres en général, et le président de la de ladite institution en particulier s’imposent comme l’une des conditions sine qua non qui garantissent non seulement sa crédibilité, mais aussi ses différentes décisions.

Pour finir, une étude du centre africain de recherche stratégique révèle que les pays qui mettent et respectent les limites des mandats pour leurs leaders sont moins sujet à des conflits armés que ceux dont les leaders restent en place indéfiniment ; c’est-à-dire les premiers laissent derrière eux un héritage honorifique et, les seconds laissent un chao total dans leurs pays respectifs : la famine, les déplacements forcés, les rebellions, la corruption, le détournement des deniers publics. De ce fait, il appartient à la classe politique de notre pays en général, et la classe dirigeante de préserver les acquis démocratiques, la stabilité de nos de nos institutions et le maintien de notre équilibre social et économique.

Aly Souleymane Camara, Auditeur en Master science politique à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia.

Email : alysouleymanecamara66@gmail.com

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