Il y a quelque chose de foncièrement regrettable dans le débat relatif aux victimes des violences d’État en Guinée. Quand des victimes ou des familles de victimes crient leur colère ou expriment leur souffrance, on entend invariablement qu’elles ne sont pas les seules victimes et qu’il n’y a pas de victimes qui soient supérieures à d’autres.
Poser le débat de cette manière est l’une des causes qui rendent difficile l’examen de la question mémorielle en Guinée. En réalité, les victimes qui s’expriment n’ont jamais prétendu être les seules victimes de violences d’État et ne se sont jamais considérées comme étant les plus victimes. En tout cas, aucune d’entre elles n’a tenu publiquement un tel discours.
Ce que ces victimes ou familles de victimes demandent n’est pas forcément au-dessus des moyens de l’État. Il suffit juste d’un peu de volonté politique pour y faire face. En les écoutant, on s’aperçoit en effet qu’elles demandent à très court terme l’identification des charniers où sont ensevelis leurs parents afin qu’elles puissent se recueillir devant leurs » tombes ». Et d’après des témoins, certaines fosses communes sont mêmes localisées ou localisables. Elles demandent aussi la réhabilitation de leurs parents. Pour une épouse, un fils, une fille, y a-t-il un combat plus légitime et plus noble que celui-là ? Quel cet enfant qui ne chercherait pas à laver l’honneur souillé, l’image ternie de ses parents ? On entend souvent dire qu’il n’y a pas eu de victimes mais des traîtres qui ont mérité leur sort. C’est une raison de plus pour que les familles de ces guinéens dont certains ont péri dans des conditions inhumaines et dégradantes, de lutter pour la réhabilitation de leurs parents.
S’il y a des ou des familles de victimes qui font le choix de garder le silence pour des raisons qui leur sont propres, elles ne devraient pas imposer le même silence à d’autres. Cela relève de la liberté de chacun. Ce qui reste clair, c’est que la posture qui consiste à garder le silence sur un crime favorise la commission d’autres crimes.
La réconciliation- terme que beaucoup de guinéens rejettent- ne se décrète pas, ne s’impose pas. Elle est souvent l’aboutissement d’un long processus. Elle est la dernière étape d’un long chemin. Brûler les étapes est tout simplement contre-productif.
Me Mohamed Traoré, avocat.