En Afrique de l’Ouest, la Guinée Conakry est en train de plonger dans une grave crise politique. Pourquoi ? Le Président Alpha Condé entend se maintenir au pouvoir contre la Constitution, alors même que ses 8 ans de règne ont été marqués par la corruption, la hausse des violences et l’explosion de la pauvreté qui mine la vie des Guinéens comme en témoigne l’explosion des migrations vers l’Europe.
Un bilan négatif
Porté à la tête de l’Etat guinéen en 2010 sous les couleurs de son parti le RPG, Alpha Condé a été réélu en 2015 à l’issue d’un scrutin très contesté. Malgré ses slogans de campagne, la Guinée demeure l’un des pays les plus pauvres au monde. Les chiffres de la Banque mondiale le placent au 15ème rang des pays les moins avancés au monde avec un PIB/hab de $741 presque entièrement généré par l’exploitation des ressources minières. Certains besoins primaires demeurent un luxe pour la majorité de la population tel que l’accès à l’eau ou à l’électricité. Appelé le « château d’eau de l’Afrique de l’Ouest » car traversé par les fleuves Sénégal, Gambie et Niger, le pays peine à subvenir aux besoins vitaux de la population. L’électricité constitue également un frein au développement : délestages ou absence de raccordement constituent des obstacles majeurs au bien-être des ménages et au développement des activités économiques. En l’absence de solutions de l’Etat pour répondre à ces défis majeurs, le pays se vide de sa jeunesse dont les mineurs constituent le principal contingent de migrants demandeurs d’asile en France. Tous ces éléments n’ont fait qu’empirer sous les deux mandats d’Alpha Condé, provoquant la colère ou le désespoir de la population.
Violences, tensions communautaires et violations des droits de l’Homme
Au-delà de la situation socio-économique, l’Etat de droit est sérieusement mis à mal en Guinée. La situation des droits de l’homme est préoccupante en Guinée particulièrement pour les opposants politiques et les journalistes indépendants qui sont persécutés, arrêtés, renvoyés, agressés, parfois jusqu’au pire. Ce mois-ci, l’ONG Human Rights Watch a publié un rapport alarmant révélant les attaques répétées et préméditées dont sont victimes les manifestants par les forces armées. Amnesty International a également prouvé l’implication de Bérets Rouges – une unité d’élite de l’armée – dans la mort de civils opposants. Assassinats de civils, arrestations arbitraires d’opposants et de journalistes, censure… les dérives autoritaires sont en hausse constante depuis 5 ans dans un silence coupable de la communauté internationale.
Par ailleurs, la corruption institutionnalisée affecte tous les domaines économiques, et particulièrement le secteur minier contrôlé depuis le 24 avril par le Président en personne par décret. Transparency International place la Guinée au 138ème rang sur 180 dans ce domaine, et plusieurs affaires dénoncées par Global Witness et le Serious Fraud Office impliquant le Président, son fils et ses clans ont entaché l’image du pays auprès des investisseurs internationaux et de la communauté internationale. L’ensemble des opérateurs économiques nationaux souffrent de ce système d’accaparement des richesses, sans pouvoir s’exprimer publiquement de peur des représailles.
Enfin, la stratégie dangereuse d’Alpha Condé consiste à monter les communautés les unes contre les autres afin de créer un chaos qui pourrait justifier la non organisation d’élections. Cette stratégie, régulièrement utilisée dans certains pays africains à l’instar de la République démocratique du Congo, est ici très claire.
Le flou électoral
Sous la pression de l’opposition, le régime présidentiel a organisé des élections municipales ayant été largement remportées par l’opposition y compris dans des bastions historiques d’Alpha Condé en Basse Guinée. Cependant, l’expression populaire exprimée par ce scrutin donnant la victoire à l’opposition a été vite effacée par des violences électorales à Matoto où le maire élu issu de l’opposition a été tué par l’armée qui y a placé de force une figure du parti présidentiel.
Les élections législatives n’ont toujours pas eu lieu alors que les députés sont hors mandat depuis avril 2019 et aucun agenda n’a été publié par la Commission Electoral Nationale Indépendante, l’organe rattaché à l’Etat en charge de l’organisation des différents scrutins.
Le devoir de l’Union Européenne
Seule certitude, l’opposition et la société civile, qui se sont unies pour réclamer l’organisation de l’élection présidentielle de 2020 sans la participation d’Alpha Condé, sont déterminées à lutter jusqu’au bout. Alors que la Constitution actuelle empêche l’actuel chef de l’Etat de briguer un troisième mandat, ce dernier ambitionne de contourner cet obstacle juridique par une nouvelle Constitution. La communauté internationale, et l’Europe en premier lieu, a le devoir, mais aussi l’obligation, au vu des enjeux migratoires gigantesques, d’empêcher Alpha Condé de changer la Constitution et l’obliger à organiser des élections démocratiques, transparentes et inclusives. Sans cela, c’est tout le pays, la sous-région, et l’Europe qui seront déstabilisés.
Mediapart