Depuis la décision « présidentielle » de débaptiser notre aéroport pour lui substituer le nom d’Ahmed Sékou Touré, l’opinion nationale est divisée avec des réactions passionnées, souvent dogmatiques, mais rarement raisonnables.
Cette controverse jette une lumière crue sur le caractère sensible et clivant du personnage dans la société guinéenne. Sékou Touré est perçu par un double prisme en Guinée par la majorité de nos compatriotes qui refusent de se parler et qui se bornent à leur certitude. Pour les uns, il fut un héros, le porte-étendard de notre pays en Afrique avec une fierté assumée et un réformateur sur le plan social, culturel et économique. Pour les autres, il s’est fourvoyé en dilapidant son crédit de père de l’indépendance dans une dictature impitoyable qui a tué tant de Guinéens et surtout étêté une bonne partie de l’élite de l’époque.
Y aurait-il pas une troisième voie qui pourrait concilier la grandeur de l’homme et sa part d’ombre. C’est un travail de vérité, sans fard et sans complaisance, qui garantira une sérénité commune sur le sujet. C’est à l’aune de cette sérénité commune que notre nation se consolidera.
Qu’est ce qu’une nation ? C’est quand « une société prend conscience d’elle-même…Ce sont des citoyens animés d’un consensus » (Marcel Mauss). Le consensus dont parle Mauss, c’est le fait de partager le même récit national, le même passé aussi douloureux ou glorieux fût-il. Et surtout, avoir la même ambition face à l’avenir. Tel est le défi de notre pays, actuellement fragmenté par des intérêts catégoriels enfouis – politiques et communautaires.
La longue période du règne de Sékou Touré fut particulière. C’est à l’aune de ce contexte historique qu’il faudrait lire conjointement les hauts faits du père de notre indépendance mais aussi les horreurs de son régime qui a péché dans la gestion de l’adversité politique.
Les complots, nombreux, qui ont jalonné son pouvoir furent des adjuvants à une répression impitoyable contre beaucoup de nos compatriotes. Lesdits complots étaient-ils tous faux ? Quand bien même ils fussent réels, toutes les victimes étaient-elles réellement des coupables ? Qui a établi cette culpabilité ? Les exécutions sommaires ont-elles obéi aux règles du contradictoire afin de proportionner les peines et les individualiser ?
Toutes ces questions nous amènent, pour ma part, à affirmer que le système de répression mis en place fut inique et a terni le vernis de la révolution qui, sur bien d’autres aspects, fut intéressante.
En Guinée, nous avons besoin d’un catharsis national. Cela peut prendre des formes variées soit une conférence nationale ou des états généraux de la réconciliation nationale, qu’importe, pour que le pays fasse sa mue mémorielle. Il s’agira de questionner notre passé, tout notre passé – de 1958 à nos jours – afin de dresser un bilan froid des violences d’Etat. Celles qui ont endeuillé des familles sous tous les régimes qui se sont succédé.
Le préalable du pardon est la reconnaissance du préjudice et les conditions de possibilité de la réparation. Notre pays ne peut faire l’économie de cette étape douloureuse mais ô combien nécessaire pour purger les rancœurs, apaiser les familles de victimes, pour qu’enfin les Guinéens se regardent et marchent dans la même direction. L’avenir du pays en dépend.
Sayon Dambélé, dambelesayon@yahoo.fr