« Une fois que Donka est ouvert, nous allons nous appesantir sur le projet de l’hôpital Ignace Deen. Là-bas, ce n’est pas une rénovation, c’est une construction. Nous allons construire des nouveaux bâtiments. Si vous souhaitez voir l’hôpital Ignace Deen tel qu’il est avant qu’on le casse, allez prendre des photos parce que vous ne verrez plus que dans le musée. Ce sera un hôpital du 21ème siècle qui va être érigé sur le site, une fois qu’on l’aura fait ».
Quand j’entends notre ministre de la santé s’exprimer ainsi, j’ai envie de crier au fou. Démolir l’hôpital Ignace Deen, l’un des rares édifices de notre capitale à avoir plus de 100 ans, vous entendez ça ! Mais de quel droit ? Et surtout, pourquoi faire ? Pour construire un hôpital du 21ème siècle, paraît-il ! La belle affaire !
Notre ministre qui est, je crois bien, médecin de profession, ne sait-il pas que la modernité d’un hôpital vient de l’innovation de sa technologie et de la compétence de son personnel, non de l’âge de ses murs ? L’intelligence n’aurait-elle pas été au contraire, de raser l’hôpital de Donka plus jeune et plus banal aussi bien par le style que par les matériaux de sa construction et de rénover en en respectant scrupuleusement la configuration, le vieux et beau monument d’Ignace Deen ?
Il y a deux ou trois semaines, dans ces mêmes colonnes, je tirais la sonnette d’alarme à propos de notre patrimoine historique en péril. Je rappelais, les larmes aux yeux, la scandaleuse inconscience avec laquelle nous avons démoli, à coups de marteau, tout ce qui faisait le charme de Conakry, cette coquette petite cité que l’on appelait jadis la perle côtière de l’Afrique de l ‘Ouest. Les toitures en tuile ou en ardoise, les galeries bordées de colonnes, les balcons en fer forgé ont presque partout disparu pour laisser la place à des bâtiments quelconques qui sont à l’architecture ce que le burger-king est à la haute cuisine.
Même le palais présidentiel n’a pas échappé au saccage. On a cassé le petit bijou construit par Noël Ballay pour ériger une bizarrerie qui a plus l’air d’une aciérie désaffectée que d’une résidence présidentielle.
De l’autre côté, à Téménétaye, on nous a infligé cette monstruosité en béton appelée Hôtel Noom qui nous bouche la vue sur la mer à l’un des endroits les plus pittoresques de la capitale, le splendide angle que formaient les murs d’Ignace Deen avec la nappe argentée de l’Océan.
Hélas,les choses vont en s’empirant. La furie de tout foutre par terre s’est quintuplée depuis qu’un certain lieutenant-colonel a usurpé le pouvoir. Après les domiciles de Cellou et de Sidya, la cité ministérielle de Donka, les cités de Camayenne et de Cameroun !
La Paillote, ce vénérable berceau de la musique guinéenne moderne a échappé de justesse a cette rage destructrice. Et au train où vont les choses, on est en droit de s’inquiéter pour La Dame de Mali et pour le mont Gangan. Qu’est-ce que vous voulez, le despotisme et la laideur sont deux mots qui vont très bien ensemble.
Question : nous restera-t-il un peu de la Guinée après le sieur Mamadi Doumbouya ? On en doute car ces mecs sortis de nulle part qui nous gouvernent en ce moment se croient tout permis. Ils arrêtent qui ils veulent, torturent qui ils veulent, tuent qui ils veulent, exilent qui ils veulent, démolissent ce qu’ils veulent comme si la République de Guinée n’était plus une nation mais le jardin de leur père.
Ils se croient en pays conquis, je vous dis. Je suis sûr qu’avant de concevoir cette folle idée, notre ministre n’a pris la peine de consulter ni les citoyens ni les élus (il en reste encore, ne serait-ce que pour quelques jours dans les mairies et dans les quartiers) ni les professionnels de l’architecture. En a-t-il seulement parlé avec son collègue de la Culture qui, ne serait-ce pour le principe, est le gardien du patrimoine national ?
Bien triste , tout cela ! On se console comme on peut en lisant cette déclaration de notre ministre de la justice lors d’un séjour à Siguiri : « Quiconque sera cité ou impliqué dans la destruction de l’environnement va répondre. » Est-ce à dire, Monsieur le Ministre que si votre collègue de la Santé passe à l’acte (raser un établissement sanitaire aussi chargé d’histoire, reviendrait évidemment à démolir l’environnement urbain de Conakry !) vous le traîneriez devant les tribunaux ?
Tierno Monénémbo