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Guinée : la malédiction des urnes

Il n’y aura que le RPG et certains de ses soutiens pour croire aux résultats qui seront publiés par la CENI. Non parce que l’UFDG, le FNDC et la majorité de la population n’accordent aucune confiance à la Ceni. Mais parce que, historiquement, celle-ci n’a pas été organisée de manière à satisfaire la responsabilité morale qui est la sienne, à savoir garantir la transparence et la neutralité du processus électoral.

De la CNE (la Commission nationale électorale, 1992) à la CENI (Commission électorale nationale indépendance, 2007 ), l’organisation n’a pas réellement réussi à s’imposer comme institution indépendante d’intérêt public. Ce qui s’explique par le fait que l’ouverture aux élections multipartites en Guinée s’est accommodée d’un système politique et social contraire aux élections : depuis 1993, le pays organise des élections alors que se renforcent en même temps l’autoritarisme politique et la désorganisation du registre de l’état civil.

Les élections sont organisées dans un pays où il n’a jamais existé de contrepouvoirs effectifs et où les gouvernements successifs n’ont pas été capables de mettre en place un système fiable qui permet l’enregistrement du nombre de naissances, de mariages et de décès. En matière de reconnaissance et d’identification de la population guinéenne, nous sommes encore à l’âge de pierre. Ce désordre dans l’administration du territoire et de la population explique en grande partie l’incapacité de la CENI à dresser une liste électorale fiable et de qualité suffisance pour organiser des élections. L’environnement politique et social en Guinée n’est donc favorable à l’indépendance d’une Commission électorale nationale. Ce sera une question qu’il faudra aborder pour sortir le pays de la violence des urnes.

Mais, l’incapacité structurelle de la CENI tient aussi à la façon dont le pouvoir politique assure sa légitimité, à savoir par le soutien de l’armée. De 1958 à nos jours, c’est l’armée qui est demeurée garante du pouvoir et donc parrain exclusif du gouvernement de la société. Cette militarisation du corps politique et social a eu pour effet de marginaliser la souveraineté populaire au profit d’une instrumentalisation des élections pour pérenniser le régime en place.  Or si le pouvoir, par nature, échappe au peuple, par quel miracle alors organiser des élections neutres et transparentes. Si le peuple ne compte pas, parce qu’institutionnellement absent et politiquement marginalisé, comment la CENI peut donner des résultats qui reflètent la volonté du peuple.

L’idée même du peuple n’a aucun sens en Guinée dans la mesure où l’autorité politique n’entraine aucune responsabilité : aucun ministre ne répond de ses actes, justement parce que la relation entre le ministre et le citoyen n’est pas de nature contractuelle. Dans le cas contraire, beaucoup de ministres en Guinée auraient déjà pris la porte. Que l’on pense seulement à la santé, l’éducation, Travaux publics, la Sécurité et la protection civile. Donc, parce que les pouvoirs publics ne sont pas vraiment de nature publique et que persiste dramatiquement une collusion entre le gouvernement et le corps militaire, la possibilité d’organiser raisonnablement la lutte pour la conquête du pouvoir devient impossible.

Il sera facile d’accuser la CENI. Mais en réalité, il faut aller au-delà et saisir les conceptions vitalistes du politique qui ont fini par faire du pouvoir une question de vie ou de mort. Car pour la majorité des membres du gouvernement, perdre une élection revient à se couper d’une source vitale et donc s’exposer à des modes de vie inconfortables, voire même précaires.  Pour comprendre l’incapacité de la CENI, il faudra saisir la façon dont son « indépendance » a été confisquée par les besoins somatiques, physiologiques, qui déterminent l’environnement politique guinéen.

Amadou Sadjo BARRY
Québec, Canada

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