Depuis la fin de l’année 2019, le monde fait face à une épidémie de coronavirus, baptisée Covid-19 qui a pris naissance à Wuhan dans le Hubei en Chine et qui a fini par toucher presque toute la planète. Le 11 Mars 2020, elle est officiellement qualifiée de pandémie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Le virus a conduit à une crise sanitaire inattendue, il a de ce fait bouleversé complétement notre quotidien, conduit au confinement des populations et a changé la physionomie de certaines villes et capitales. Il a mis le monde à l’arrêt et a véritablement agonisé l’humanité entière. Le covid-19 n’a épargné ni les pays dits « riches » malgré la performance de leur système de santé, encore moins ceux dits « pauvres ».
Malheureusement aussi, dans beaucoup de pays Africains touchés, notamment en Guinée où nos économies sont fragiles, cette pandémie menace à la fois les vies et les moyens de subsistance des populations si des mesures appropriées et urgentes ne sont pas prises pour protéger les personnes les plus vulnérables et réduire les effets de la pandémie sur l’ensemble du système alimentaire.
- Situation de la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Guinée
La Guinée, malgré son potentiel agricole et l’immense richesse de son sol et de son sous-sol reste un pays où la précarité alimentaire et la malnutrition constituent un handicap majeur pour son développement. Il est confronté à des défis majeurs de sécurité alimentaire et nutritionnelle.
L’enquête sur l’Analyse Globale de la Vulnérabilité, de la Sécurité Alimentaire et de la Nutrition (AGVSAN) en Guinée, réalisée en 2018 par le gouvernement en collaboration avec le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a montré que 21% des ménages guinéens sont en situation d’insécurité alimentaire, soit l’équivalent de 2 459 419 personnes. « Parmi ces ménages, 2,4% sont en insécurité alimentaire sévère soit 272 585 personnes ». Les personnes les plus exposées sont les enfants, les femmes et les personnes âgées.
Parlant du retard de croissance encore appelé malnutrition chronique, la même étude conjointe du PAM et du gouvernement (AGVSAN), indique qu’il touche environ 25% des moins de cinq ans, soit plus 740 000 enfants chaque année en Guinée. Les régions de Faranah et de N’zérékoré sont les plus affectées avec une prévalence de 31,3% et 30,9% respectivement. Les facteurs pouvant expliquer cette situation de malnutrition et d’insécurité alimentaire sont entre autres : la faiblesse de la production agricole et de la productivité, l’énormité des pertes post-récolte dûe aux mauvaises conditions de stockages des produits agricoles, le mauvais état des infrastructures routières qui limite l’accès aux marchés et l’absence notoire des unités de transformation agroalimentaires qui créent de la valeur ajoutée.
- Impacts du COVID-19 sur la sécurité alimentaire en Guinée
Espérons que le virus s’arrêtera et sera vaincu à Conakry sans qu’il n’y ait une contamination communautaire à l’intérieur du pays. Dans le cas contraire, au fur et à mesure que le virus se propagera et que les cas de contamination se multiplieront, la Guinée à l’image des autres pays touchés sera amenée à prendre des mesures telles que : la fermeture totale des frontières, le confinement des ménages et éventuellement les mesures de quarantaine pour traquer le virus et endiguer sa propagation. Ces mesures perturberont forcément les marchés et les échanges commerciaux et limiteront ainsi l’accès des populations aux ressources alimentaires suffisantes, diverses et nutritives. A cela s’ajoutera la perturbation du calendrier agricole, sachant qu’on est déjà à 1 mois et demi des travaux préparatoires champêtres.
Le confinement empêchera sans doute les agriculteurs et les transformateurs des denrées agricoles de faire leur travail, par conséquent, affaiblira leur capacité de production, freinera la vente de leurs produits et impactera les prix sur le marché. Certains ménages se verront donc par la suite dans l’obligation de consommer les semences pour pallier aux besoins alimentaires immédiats. Que dire de la pénurie d’engrais, de médicaments vétérinaires et d’autres intrants qui vont forcément affecter la production agricole ? Nul doute aussi, que les animaux d’élevage dans les enclos ou en divagation se verront exposés à toute sorte de fourrage dont les plantes toxiques affectant leur productivité en l’absence de leurs propriétaires.
Par ailleurs, si dans un ménage, un membre est affecté par une maladie comme le coronavirus, ceci se traduit le plus souvent par des dépenses additionnelles en médicaments et/ou la perte de la main d’œuvre. Il sera fort probable que l’ensemble du ménage se retrouve en situation d’insécurité alimentaire. Cependant, l’impact est réduit si la maladie touche un enfant ou une personne âgée, par opposition aux adultes qui sont susceptibles d’être les soutiens et la main d’œuvre familiale. La perte d’un membre clé de la famille, la restriction des mouvements des personnes, les pertes de revenus subies par les ménages réduiront également l’accès aux intrants et pourraient compromettre la prochaine campagne agricole.
En outre, il est à rappeler que le Programme Alimentaire Mondiale gère et assiste actuellement en Guinée 1216 cantines scolaires dans les écoles primaires, soit 150 000 élèves et 37 cantines dans le préscolaire, soit 2177 enfants. Une propagation du COVID-19, conduira à prolonger la fermeture des écoles et va obligatoirement interrompre la chaine de distribution des rations alimentaires qui sont vitales dans ces écoles. Dans ce cas de figure, c’est plus de 172 000 enfants qui seront exposés à la faim et à une insécurité alimentaire et nutritionnelle sans précédent. Il faudra donc craindre une flambée de la malnutrition dans ces zones vulnérables malgré l’existence de vivres que l’institution malheureusement ne pourra pas acheminer.
- Réfléchir et agir pour prévenir cette crise : Pistes de solution à envisager
- a) Mise en quarantaine urgente de la capitale et mieux organiser la lutte. A date, officiellement seule la ville de Conakry est affectée et dans l’ensemble la majorité des cas recensés, ils sont importés. La mise en quarantaine de cette zone contribuera à freiner la propagation du virus et évitera de le transporter à l’intérieur du pays pour des contaminations communautaires qui seront difficiles à gérer. Sans cela, avec notre système de santé que nous connaissons et l’indiscipline ou le manque de civisme de la population, le pire arrivera malheureusement. Eviter également de faire de la maladie une opportunité mercantiliste. Impliquer à juste valeur à l’image des autres pays les chercheurs et professeurs d’universités qui sont des personnes ayant une expertise scientifique et un savoir-faire puissant dans la lutte contre cet ennemi coriace.
- b) Investir moralement, techniquement et financièrement sur la Nutrition-Santé. Le niveau nutritionnel et les taux de mortalité étant étroitement liés, investir dans la santé-nutrition des populations vulnérables avec une politique de gestion et de suivi sans faille pourrait être une stratégie efficace permettant de réduire le taux de mortalité de maladies tel que le Covid-19.
- c) Assister les ménages en insécurité alimentaire sévère. Une assistance à l’endroit de ces ménages s’avère nécessaire pour surmonter les crises ponctuelles et éviter le pire. Une action combinée, concertée et bien réfléchie entre l’Etat, les institutions spécialisées du domaine (FAO, PAM, UNICEF..) ainsi que les ONG locales et internationales évoluant en Guinée pourra permettre de mettre en œuvre cette stratégie dans un bref délai.
- d) Surveiller les prix dans le marché national: Il est nécessaire de surveiller et de stabiliser les prix des denrées alimentaires de première nécessité. Pour cela, le gouvernement devrait renforcer la réglementation du marché et accroitre d’avantage les investissements dans les filières agricoles porteuses et soutenir les entreprises évoluant dans la transformation agro-alimentaire.
Que le très haut ait pitié de nos âmes, qu’il pardonne nos péchés et qu’il nous donne les moyens, la foi et l’intelligence de mettre cet ennemi planétaire hors d’état de nuire.
Par Dr Ibrahima Diari DIALLO
(PhD en Sciences des Aliments et Nutrition)
Consultant en Technologie Alimentaire
E-mail : mougnal13@gmail.com