Le maintien par le président de la République de Guinée, Alpha Condé, d’un double scrutin dimanche 22 mars, contesté par l’ensemble de l’opposition et terni par des violences, a suscité l’ire de la communauté internationale. L’Union européenne, les États-Unis et l’Union Africaine, ayant dénoncé les irrégularités autour de ces élections, songent aujourd’hui à appliquer des sanctions au régime de Conakry.
Tirs de gaz lacrymogènes contre échanges de jets de pierre. Dix morts dimanche, selon le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), quatre, selon le ministère de la Sécurité. Les élections, législatives et constitutionnelles, contestées par l’ensemble des Guinéens et la communauté internationale, ont été maintenues par les autorités et se sont déroulées dimanche 22 mars dans un climat de violence urbaine. Le double scrutin fut boycotté par l’ensemble de l’opposition qui entend faire barrage au maintien à la fonction suprême d’Alpha Condé, président sortant âgé de 82 ans.
Les affrontements opposent les pro et anti-référendum. Du côté des pros : les forces de l’ordre. Du côté des antis : de jeunes manifestants condamnant l’irrégularité des élections. « Un coup dur pour la démocratie guinéenne » titrait hier le média guinéen Guinéenews. « Sur le plan moral et symbolique, l’opposition et le FNDC ont remporté une victoire décisive ». Le FNDC appelle les Guinéens à « intensifier les manifestations (…) lundi 23 mars et mardi 24 mars 2020 avec pour objectif ultime le départ du dictateur Alpha Condé qui est devenu illégitime ».
La démocratie guinéenne entachée par un double scrutin controversé et meurtrier
Si Alpha Condé qualifie ces élections de «transparentes et libres», l’opposition tire la sonnette d’alarme depuis le printemps dernier au sujet d’un fichier électoral caractérisé par de nombreuses anomalies et dénonce, derrière le référendum constitutionnel, une manoeuvre politique permettant au chef de l’Etat de se présenter à un troisième mandat présidentiel. Dès le printemps 2019, le Front national pour la défense de la Constitution montait au créneau pour alerter la population de ce que certains qualifient comme une dérive autoritaire du régime de Conakry. A la veille des élections, mardi 17 mars, Alpha Condé faisait faux bond à une délégation de la Communauté des États d’Afrique de l’ouest (CEDEAO), venue pour une médiation. Ces élections sont en effet contestées par la communauté internationale. Problème : la Guinée s’est engagée à plusieurs reprises auprès d’elle pour assurer les conditions d’élections libres, transparentes et démocratiques au sein du pays.
Une communauté internationale prête à infliger des sanctions à Alpha Condé
En 2000, les pays ACP (les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique) -dont fait partie la Guinée- et l’Union européenne signaient l’Accord de Cotonou qui prévoit une suspension d’aide en cas de corruption ou de violation de l’Etat de droit. Or au vu de l’« absence d’inclusivité et de transparence » des élections, dénoncée par l’Union européenne, la menace d’une sanction économique de l’UE plane sur le pays. Même son de cloche du côté des Etats-Unis, qui, par l’intermédiaire du Secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, rappelait que «le Gouvernement guinéen devrait mettre en œuvre les recommandations des Nations Unies concernant les listes électorales et respecter son engagement en faveur d’une consultation nationale inclusive sur la nouvelle constitution». On peut craindre de leur côté un gel des avoirs et l’interdiction de séjours aux Etats-Unis pour certaines personnalités proches du pouvoir.
Une probable mise au ban pour non-respect des principes démocratiques
Or, au regard du caractère non-inclusif du scrutin, de l’irrégularité du fichier électoral – révélée il y a deux ans dans un audit réalisé par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), l’Union européenne (UE) et l’Organisation des nations unies (ONU) – et des nombreuses répressions de manifestants, des sanctions européennes et américaines sont à prévoir prochainement. De son côté, l’ONU pourrait appliquer des sanctions qui isoleraient davantage la Guinée sur le plan diplomatique. L’Union africaine, habituellement peu encline à imposer des sanctions, pourrait « de façon exceptionnelle, prendre des mesures de sanctions extraordinaires » comme l’a précisé une source d’Addis-Abeba, à Mediapart. « Plusieurs dirigeants politiques et militaires sont actuellement sous enquête ; il s’agit notamment de : Malick Sankhon, le DG de la CNSS, Damaro Camara, le Général Bourema Condé, le Colonel Baffoe, Fabou Camara, le Directeur Général de la DPJ, Mohamed Diané, le Ministre de la Défense ou encore le Premier ministre Kassory Fofana ». Des sanctions qui contribueraient à isoler politiquement et économiquement un pays déjà au bord du chaos.
Par François Lamontagne