En 2020, dans ces mêmes colonnes, je donnais une chronique intitulée, Assimi Goïta, un mal nécessaire pour le Mali, et dans laquelle j’affirmais un peu trop vite que dans ce pays, il n’y avait pas péril en la demeure. Deux ans plus tard, je suis bien obligé de me reprendre et bien que l’on ne soit pas au Canard Enchaîné, de m’infliger un sérieux pan sur le bec. Car, en ce moment au Mali, il y a bel et bien péril en la demeure.
A mon pire ennemi, je ne souhaiterais la situation que vit ce pays hautement symbolique et qui se trouve être la terre d’origine de mes aïeux, qui plus est. Déjà en proie aux méfaits du djihadisme, le voilà, devenu après l’Ukraine, le deuxième champ de bataille du fameux conflit Est-Ouest qui, malgré la chute du mur de Berlin, ne s’éteint toujours pas. Les deux plaies du monde moderne réunies dans un seul et même petit pays africain, sahélien et enclavé ! Le tout sur fond de diatribe aussi bien avec ses voisins qu’avec la France !
Bien que complexe, la lente descente aux enfers du Mali est facile à retracer. Tout commence au nord. D’abord en Algérie où l’armée après avoir difficilement remporté la victoire, a poussé les derniers terroristes à aller jouer ailleurs. En Lybie ensuite, où la mort de Kadhafi a largement ouvert la boîte de Pandore au Sahel. Surarmés et fanatisés à souhait, les Djihadistes pouvaient massivement se répandre dans une région où, présent depuis les Almoravides, l’Islam est véritablement chez lui.
Leur pénétration fut si rapide que sans l’appel au secours lancé à l’armée française, ils auraient atteint Bassam et les Iles de Loos, sans rencontrer la moindre poche de résistance. Dix ans après, les terroristes sont toujours là malgré les opérations Serval et Barkane. Et le désastre est tel (surtout au Centre et au Nord) qu’il a entraîné une brouille sans précédent entre Paris et Bamako. A tort ou à raison, l’ancienne puissance coloniale est soupçonnée de laxisme voire de duplicité : alliée, le jour ; complice des envahisseurs, la nuit. Pour marquer leur dépit, les autorités maliennes se sont rapprochées de la Russie et accepté les offres de service de la force Wagram dont on ne sait toujours pas le lien exact avec le Kremlin.
Après la crise de confiance, la crise de nerfs. C’est Le Drian, alors patron du quai d’Orsay qui s’enflamme : « Et je voudrais rappeler ici avec beaucoup de force que cette junte (entendez celle d’Assili Goïta) est illégitime et qu’elle prend des mesures irresponsables ». Un ministre français des affaires étrangères ne devrait pas parler comme ça… à une ancienne colonie de la France. On a vu un Quai d’Orsay plus adroit.
C’est le ministre malien des affaires étrangères qui prend la mouche à son tour : « Ce sont des propos empreints de mépris…des propos inacceptables…Les injures ne sont pas une preuve de grandeur. » Oui, ces propos sont inacceptables. On comprend parfaitement l’indignation des autorités maliennes. Mais le renvoi de l’ambassadeur français n’est-il pas disproportionné et somme toute, contre-productif ? Un communiqué bien senti du palais de Koulouba et une manifestation-monstre des forces populaires devant l’ambassade de France n’auraient-ils pas suffi ?
Nous sommes en 2022 : l’heure n’est plus à la rupture des relations diplomatiques mais à la consolidation de celles-ci surtout en temps de crise. Et puis, ce n’est pas malin pour un pays africain de se retrouver coincé entre le marteau des Russes et l’enclume des Français. En tout état de cause, on ne se libère pas en changeant de maître. Les Maliens devraient avoir présente à l’esprit l’expérience de leurs frères utérins guinéens qui dans les années 60 s’étaient retrouvés exactement dans la même situation avec le résultat que l’on sait.
Tierno Monénembo, In Le Point