La Guinée n’est pas le seul pays au monde qui vit le phénomène de déguerpissement des populations.
La majorité des villes africaines et asiatiques sont confrontées à ce problème mais, ailleurs , la majorité des États tiennent compte des engagements nationaux et internationaux, et adoptent des solutions les plus humaines possibles pour leur population. Ainsi, Les déguerpis, qu’ils soient dans une position légale ou illégale, devraient bénéficier de solutions de relogement ou d’un minimum de compensation.
A Conakry, les opérations de déguerpissement qui ont cours dans certains quartiers sont faites dans l’urgence , la précipitation et la violence sans délai suffisant.
Lorsque le processus de déplacement est prévu de longue date et fait partie d’un projet de développement, un délai précis doit être fixé pour l’évacuation des sites occupés afin de permettre aux personnes déplacées de rassembler leurs effets personnels et de trouver un logement ou de démonter leur entreprise.
Le déguerpissement tel qu’il est pratiqué actuellement est vécu par les populations, en l’occurence celles de Kaporo rails, Coyah… comme un traumatisme, l’effondrement complet de tout un pan de leur vie , une humiliation, une grande colère pour les élèves qui rencontrent les pires difficultés pour se rendre dans leurs écoles et qui restera gravé dans les mémoires comme un évènement particulièrement douloureux.
Les aspects humains liés à ce genre d’opération de « déguerpissement » ne sont pas pris en compte et posent plusieurs problèmes :
- des milliers de personnes sont mises à la rue, sans préavis formels et officiels suffisant (6 mois au lieu d’une semaine)
- Elles sont peu ou pas du tout indemnisées, pour celles qui ont des titres de propriété.
- Et surtout aucune solution de relogement pour les habitants ainsi déguerpis n’a été prévue.
S’agissant de l’Etat, les questions que je me pose sont les suivantes :
- est-ce que ces opérations de déguerpissement ont pour but de mettre de l’ordre dans les villes, empêcher les gens d’occuper les espaces non occupés comme par exemple les abords des routes, les friches, les terrains dangereux ou non viabilisés tels que les bas-fonds, les pentes, la proximité de canaux d’évacuation ou de fils à haute tension ?
- L’Etat veut-il mettre fin aux quartiers précaires, aux marchés «spontanés», à l’utilisation des trottoirs par des commerçants informels qui concurrencent les commerçants installés dans leur boutique et qui paient un loyer ?
- D’autre part, si les communes sont en principe financées en partie par une dotation de l’État, une grande partie de leurs recettes propres provient des taxes d’activité et d’occupation des commerçants, et même ceux installés et non autorisés sur l’espace public.
Dans le cas de Kaporo rails, l’action de l’Etat est davantage concentrée sur la destruction des constructions pour récupérer l’espace public.
Ces habitations et ces commerces sont installés sur un espace dont le statut est problématique, mais qui, en tout état de cause, relève du domaine public.
Il est important de rappeler que la loi interdit à quiconque d’occuper un espace relevant du domaine privé ou une zone à risque.
Il est vrai que l’Etat a le devoir de repenser la ville et de dresser un modèle de ville structurée, où l’anarchie ne règne plus en maître , où la ville structurée devient une norme.
Il est vrai aussi, que l’occupation anarchique de l’espace public engendre des problèmes d’hygiène, de propreté (production des déchets), de sécurité (agressions, vols), de circulation.
L’augmentation de la population dans des quartiers qui occupent l’espace public sans documents officiels se traduit par des difficultés croissantes d’environnement, de circulation, de sécurité, d’hygiène et de santé, de scolarisation, de développement . Autant de difficultés qui rendent à mon sens plus urgents une maîtrise et un contrôle renforcés sur la ville, ainsi qu’une normalisation du rapport des populations de ces quartiers avec l’Etat.
En menant ces opérations de déguerpisements , l’Etat rappelle en quelque sorte les populations à l’ordre. Cependant, ces opérations requièrent pour l’Etat, la réparation des droits économiques, moraux, culturels qu’il se doit d’assurer et d’ assumer.
Il y a pourtant des solutions plus humaines et plus équitables pour récupérer les domaines de l’Etat.
Pour arriver à un modèle de ville structurée l’Etat doit faire beaucoup de pédagogie, faire un énorme travail d’explication, de sensibilisation, créer du lien entre les habitants des quartiers et les chefs de secteurs et chefs de quartier dont le rôle est primordial .
Une pédagogie d’autant plus importante que l’écrit, support de cette norme, n’est pas toujours pleinement compris et appliqué :
Il est important que le gouvernement regarde en face les préjudices causés aux populations qui ont été déguerpies pour améliorer la gestion et la gouvernance dans le domaine foncier.
L’Etat, en tout état de cause a la responsabilité de loger ses habitants, tous ses habitants.
C’est l’occasion de signaler que le gouvernement qui casse avec zèle ses gouvernés a échoué dans sa politique du logement social.
Les opérations, engagées par l’Etat depuis quelque temps au nom du nouvel ordre urbain à Kaloum, Koloma, Kaporo rail, Kipé, Coya posent au moins trois problèmes :
- Premièrement : l’incivisme des populations, qui s’installent où qui achètent des parcelles dans des zones appartenant à l’Etat, parfois en toute connaissance de cause,
- Deuxièmement : l’échec du gouvernement dans sa politique sociale et d’infrastructures. L’Etat n’a pas construit de logements sociaux ni de programme d’accession à la propriété adapté aux salaires de toutes les couches sociales guinéennes,
- troisièmement le laxisme des gouvernements successifs ,la cupidité et la corruption des responsables au pouvoir depuis plusieurs décennies.
D’autre part, l’occupation et l’attribution de ces espaces, qui, du point de vue des responsables, sont anarchiques c’est-à -dire non contrôlées, non réglementées, etc., on pourtant reçu la caution d’un pouvoir municipal, un chef de secteur , un chef de quartier, un responsable étatique ou politique. Il est difficile, voire impossible de s’installer sur un terrain non occupé sans que le chef de quartier où les autorités ne soient informés.
Comment pouvons-nous donc imaginer que dans un Etat de droit, des individus mettent en valeur pendant des décennies un domaine de l’Etat, sans en être inquiétés et empêchés ?
Disons que le problème commence par la non application des dispositifs institutionnels qui régissent ce secteur, notamment les schémas directeurs. Leur mise en application a été plombée par un laxisme et une complaisance qui ont favorisé le désordre urbain que l’on connaît aujourd’hui.
Il est sans doute important de signaler que le gouvernement a commencé lui-même par boycotter les schémas directeurs qu’il avait lui-même élaboré , notamment en laissant s’implanter par exemple des immeubles à Camayenne le long de la plage , dans le quartier Moussoudou sur le domaine maritime.
Quand les habitants de Conakry voient les remblais qui sont construits sur le domaine maritime pour y mettre des villas ou des immeubles pour privatiser par exemple les plages de Conakry, où seuls quelques privilégiés ont accès à la mer, il est probable que les populations sont confortées dans des positions de défiance des règles établies.
La question fondamentale est de savoir si, le Ministère de l’habitat et de l’urbanisme possède la capacité d’organisation et de contrôle de l’espace public pour empêcher l’occupation anarchique des domaines de l’Etat, et en a-t-il vraiment la volonté ?
Pour éviter ce genre de drame humain, le ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat pourrait ou devrait créer un Bureau d’appui à l’habitat social, et mettre en place un plan stratégique pour le financement de l’habitat social.
Le Ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat devrait privilégier les négociations, des rencontres avec les populations concernées par les déguerpissements afin d’ouvrir des sites de « recasement » pour les accueillir. Sans cela l’Etat ne fait que déplacer le problème, ainsi les déguerpissements à Kaloum, Coyah, maintenant à Kaporo rails, ont drainé ou draineront encore derrière eux des milliers de personnes sans abris, des pertes en biens matériels qu’ils soient meubles comme immeubles, d’une valeur inestimable pour ces personnes, des souvenirs, toute une partie de leur vie, des difficultés de scolarisation pour les élèves de ces familles.
Le cas échéant, si l’Etat n’est pas en mesure de construire du logement social, Il pourrait faire preuve d’empathie envers ses populations vulnérables en prévoyant des sites d’accueil provisoires, le temps pour elles de se remettre de leur drame.
L’Etat doit œuvrer pour construire de l’habitat social accessible au plus pauvres ( les populations les plus vulnérables ainsi que les populations déguerpies) pour éviter la prolifération de nouveaux bidonvilles.
En Guinée, tout le monde est concerné par la question du logement. Il y a peu d’offres accessibles au plus grand nombre, de ce fait les prix des loyers affichés sont déraisonnables, les propriétaires demandent une année d’avance pour se couvrir des impayés. Combien de personnes sont en mesures d’avancer 12 mois de loyer ?
Les cadres, qu’ils soient issus de l’administration ou du privé sont confrontés au même problème du logement. Où sont les maisons pour loger ces cadres et autres agents des administrations ou des entreprises ?
En 8 ans de Gouvernance, aucun logement vraiment social n’a été construit, Diamond Plaza au centre émetteur de Kipé a été construit pour satisfaire exclusivement les personnes déjà nanties.
Enfin, nous proposons aux responsables en charge de la gestion de nos villes d’être plus prospectifs. De ne pas seulement s’occuper des centres urbains, de préparer la périphérie à accueillir de nouveaux occupants, cela de concert avec les propriétaires fonciers. Question d’éviter de nouvelles impasses.
Il y a toute une réflexion à faire autour de la question du logement, de l’implantation de zones industrielles pour trouver des solutions pérennes pour les citoyens guinéens.
Il y a aussi toute une réflexion à faire autour du foncier. Il est tant d’assainir et de moderniser notre cadastre et de travailler avec les outils d’aujourd’hui (cadastre informatisé, coordonnées GPS, traçabilité des différents acquéreurs d’un même terrain….) .
J’exhorte encore une fois de plus, l’Etat à faire preuve d’empathie envers les habitants de Kaporo- rail et leur trouver une solution de relogement ou de recasement.
Il est nécessaire de privilégier le dialogue et d’œuvrer pour la paix sociale afin qu’aucune communauté dans notre pays ne se sente stigmatisée.
Enfin pour terminer, je m’associe à l’émotion suscitée par le déguerpissement des habitants de Kaporo rail, et j’exprime toute ma solidarité à toutes les victimes, à leurs parents et à leurs proches.
Marie Madeleine Dioubaté