Dans une publication d’Africaguinee.com datée du Mardi 15 octobre 2019, le Professeur Alpha Condé a révélé les principales raisons qui le poussent à changer l’actuelle Constitution.
A cet égard, plusieurs arguments ont été invoqués par lui, affirmant notamment : « …Il y a des insuffisances notoires dans cette Constitution… ». « …Assurant que ce projet n’a rien à voir avec un troisième mandat, le chef de l’Etat souligne que c’est pour adapter la Loi fondamentale guinéenne à l’évolution du monde… ».
La présente tribune est une contribution au débat sur la Constitution qui se limitera à fournir quelques éléments de réponse à ces arguments pour éclairer les guinéens sur le sujet.
Mais avant, il convient de préciser que la Constitution en vigueur est une Constitution moderne et innovante qui contient un dispositif juridique et institutionnel en phase avec les standards internationaux.
1 – Sur les prétendues insuffisances notoires de la Constitution actuelle
Avant tout, il convient de préciser qu’une Constitution est une œuvre humaine et comme telle, elle est perfectible d’ou la possibilité de la réviser. Mais, si la révision ou l’amendement de la Constitution en vigueur est prévue par l’article 152, il convient de retenir qu’aucune disposition de cette Constitution ne prévoit son abrogation par l’adoption d’une nouvelle Constitution.
A cet égard, la cohérence et la pertinence des arguments invoqués pour justifier l’élaboration d’une nouvelle constitution sont discutables, tant sur le plan factuel que conceptuel.
2 – Sur le fait que la Constitution ait été adoptée pendant le Régime d’exception.
Etait-il possible de le faire autrement pour rétablir l’ordre constitutionnel ? Assurément non.
Le coup d’état militaire a eu pour conséquence la rupture de l’ordre constitutionnel qui était en vigueur. Les putschistes ayant suspendu la constitution et dissous les institutions républicaines. Nous étions donc forcement dans un régime de transition ou d’exception. C’est pour sortir rapidement de ce régime d’exception et revenir à un ordre constitutionnel normal que les autorités de transition ont demandé au Conseil National de Transition de faire la relecture de la Loi fondamentale suspendue.
3 – Sur la corrélation établie entre les accords politiques et la violation de la Constitution
Il faut souligner qu’aucun accord politique signé depuis 2013 avec l’Opposition républicaine n’est contraire à la Constitution. Au contraire, c’est la violation de la Constitution et des autres lois de la République, notamment le Code électoral et le Code des collectivités locales par le Gouvernement et la CENI qui sont à l’origine des manifestations et des différents Accords politiques.
C’est le défaut d’application systématique des dispositions constitutionnelles qui garantissent les droits fondamentaux des citoyens et du calendrier électoral qui a conduit à la conclusion d’accords politiques de sorties de crises avec pour conséquences la fragilisation et la défiance de nos institutions. En effet, ces accords politiques ont pour origine la violation systématique des droits constitutionnels des citoyens : le droit à l’exercice des libertés publiques (le droit de manifestation), le droit de participer à des élections libres, inclusives, régulières et transparentes, la protection et la garantie du droit de propriété etc. Le seul mal dont souffre la Constitution actuelle est le déficit d’effectivité dans l’application de ses dispositions.
4 – Sur l’argument selon lequel « la Constitution actuelle donne au Président le pouvoir de faire une nouvelle Constitution ».
La Constitution actuellement en vigueur n’autorise pas le Président et les Députes qui ont concurremment l’initiative de la loi à proposer l’adoption d’une nouvelle Constitution.
Contrairement à l’avis erroné des promoteurs du troisième mandat, aucune disposition de la Constitution actuelle ne prévoit son abrogation par une nouvelle constitution. Elle prévoit simplement une possibilité de révision ou de modification de l’ensemble de ses dispositions à l’exception des celles qui sont énumérées à l’article 154 et qui sont considérées comme intangibles pour garantir notamment certains droits et libertés ainsi que les principes démocratiques et de l’Etat de droit.
Faut-il rappeler que la Constitution consacre et aménage deux types de référendum :
le Référendum législatif prévu par l’article 51 de la Constitution et le Référendum constitutionnel prévu à l’article 152 de la même Constitution.
Dans les deux cas, l’article 22 de la Loi organique sur la Cour constitutionnelle prévoit un contrôle de constitutionnalité des projets ou propositions de lois référendaires. Ce qui ne laisse aucun doute possible sur l’absence de base légale au projet de nouvelle constitution que le Gouvernement entend initier. Il reste entendu que ce contrôle de constitutionnalité est exercé dans le cadre des attributions juridictionnelles de la Cour constitutionnelle. Il est donc différent de la procédure consultative proprement dite aménagée devant ladite Cour.
5 – Sur l’argument selon lequel « ce qui est du domaine de la LOI organique se retrouve dans la Constitution ».
Cet argument est tellement léger et impertinent pour justifier l’élaboration d’une nouvelle constitution qu’il ne mérite pas qu’on s y attarde. Les lois organiques ayant pour objet de préciser et de compléter la Constitution, elles font partie intégrante du bloc de constitutionnalité.
6 – Sur l’argument selon lequel « la Constitution actuelle n’a pas été soumise au référendum ».
Le droit, la science politique et les meilleures pratiques constitutionnelles nous enseignent qu’il y a deux procédés valables pour adopter ou réviser une constitution. C’est l’approbation du projet ou de la proposition de loi constitutionnelle par voie référendaire (le Peuple) ou par voie législative (le Parlement). A l’époque, le CNT était légalement et légitimement le Parlement de la République de Guinée.
Faut-il souligner qu’il appartient au Président de la République de choisir, en fonction des circonstances du moment et du droit applicable, soit la procédure référendaire, soit la procédure législative. Or, à l’époque pour des considérations politiques, financières et sécuritaires, les acteurs politiques, l’ensemble des forces vives de la Nation et la Communauté internationale ont amené le Président de la Transition et son Gouvernement à opter pour l’adoption du texte constitutionnel par la voie législative afin de revenir rapidement à un ordre constitutionnel normal et souverain.
Sur la compétence du CNT, je reproduis ici l’article 1er de l’Ordonnance no 006 du 7 mars 2010 portant attributions et composition du Conseil National de la Transition (CNT)
qui dispose : « Le Conseil National de la Transition (CNT) créée par l’Ordonnance no 001 du 9 février 2010 est un organe politique délibérant qui assume les fonctions et missions ci-après :
1 – Procéder à la relecture et à l’adoption des dispositions constitutionnelles, des lois organiques et des textes électoraux relatifs au bon déroulement du processus électoral ;
2 – Jouer tout rôle législatif en rapport avec le processus de la transition ;
3 – Assurer le suivi et l’évaluation de l’action gouvernementale ;
4 – Suivre l’évolution du processus électoral en particulier les activités de la CENI ;
5 – Contribuer à la réconciliation nationale ».
Relativement au mandat du CNT, il convient ainsi de mentionner qu’il était question d’une relecture de la Loi Fondamentale de 1990 ou d’un toilettage. C’est par commodité de langage que le recours à la mention de nouvelle Constitution s’est imposée sans toutefois correspondre à la réalité juridique. En effet, sous l’angle strictement juridique, toilettage et relecture ne peuvent équivaloir à une nouvelle Constitution. De tels éléments de clarification sont d’autant plus importants à apporter qu’ils remettent en question le cœur même de l’argumentaire des tenants du projet d’une nouvelle Constitution.
Aussi, sied-il de rappeler, que le consensus national qui a prévalu au moment de l’adoption de la Constitution du 7 mai 2010 était tel qu’aucun des acteurs politiques, ni des forces vives de la nation n’a appelé ouvertement à voter contre.
En définitive, il a été indiqué moult fois, que les insuffisances et les lacunes de la Constitution peuvent être corrigées par voie de révision et, qu’aucune circonstance de fait et/ou de droit ne permet de fonder légalement l’élaboration d’une nouvelle Constitution.
7 – Sur l’argument selon lequel « le Président de la Cour constitutionnelle devrait être nommé par le Président de la République au lieu d’être élu par ses pairs ».
Il s’agit simplement d’un choix judicieux qui a été fait par les constituants (les membres du CNT) pour garantir davantage l’indépendance de la Cour Constitutionnelle. En effet, les compétences dévolues à la Cour Constitutionnelle, en matière de protection des droits de l’homme, du contentieux électoral et constitutionnel, pour garantir le respect des principes démocratiques et de l’Etat de droit, exigent une certaine indépendance du juge constitutionnel vis à vis du Pouvoir Exécutif.
Le traitement infligé à Monsieur Kelefa SALL montre que les membres du CNT ont eu raison de retenir l’élection du Président de la Cour par ses pairs. Car en dépit du procédé retenu,
les faits ont montré à la face du monde que le Chef de l’Exécutif guinéen, ne peut s’accommoder avec un juge indépendant, en particulier un juge constitutionnel.
Contrairement à ce qui a été dis, il n’y a rien d’anormal à ce que les trois Magistrats, l’Avocat et l’Enseignant désignés par leurs entités respectives aient l’ambition ou la prétention, chacun, de se faire élire Président de la Cour constitutionnelle.
8 – Sur l’argument selon lequel « la protection de l’environnement ne se retrouve pas dans la Constitution actuelle ».
La Constitution actuelle consacre deux articles à la protection de l’environnement. Il s’agit des articles 16 et 17 auxquels il faut ajouter le Code de l’Environnement et les codes sectoriels qui protègent l’environnement (Code Forestier, Code de l’Eau, Code Minier, etc.). Un tel argument est par conséquent inopérant.
9 – Sur l’argument selon lequel « la Constitution actuelle ne fait pas référence à l’intégration de la Guinée dans un environnement plus vaste, c’est-à-dire l’unité africaine ».
La vocation panafricaine de l’actuelle Constitution est incontestable. Il suffit de la lire pour se rendre compte que cet argument manque de pertinence. En effet, dans le préambule de la constitution, il est clairement écrit ce qui suit :
« Le Peuple de Guinée proclame son adhésion aux idéaux et principes, droits et devoirs établis dans la Charte de l’Organisation des Nations Unies, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, les Conventions et Pactes internationaux relatifs aux droits de l’Homme, l’Acte constitutif de l’Union Africaine, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et ses protocoles additionnels relatifs aux droits de la femme, ainsi que le Traité révisé de la CEDEAO et ses protocoles sur la démocratie et la bonne gouvernance.
Réaffirme :
– Sa volonté d’édifier dans l’unité et la cohésion nationale, un Etat de Droit et de Démocratie pluraliste.
– Sa volonté de promouvoir la bonne gouvernance et de lutter résolument contre la corruption et les crimes économiques. Ces crimes sont imprescriptibles.
– Sa volonté d’établir des relations d’amitié et de coopération avec tous les peuples du monde sur la base des principes de l’égalité, du respect de la souveraineté nationale, de l’intégrité territoriale et de l’intérêt réciproque ;
– Son attachement à la cause de l’unité africaine, de l’intégration sous-régionale et régionale du continent ».
L’article 23 de la Constitution en vigueur dispose également que : « L’Etat doit favoriser l’unité de la Nation et de l’Afrique ».
De ce qui précède, l’argumentation des promoteurs d’une nouvelle constitution sur ce sujet est par conséquent inopérante.
10 – Sur l’argument relatif aux femmes, aux jeunes et à la famille.
Il suffit de lire les articles 8, 18 et 19 de la Constitution actuelle pour se rendre compte de l’impertinence des arguments soulevés. En outre, plusieurs questions évoquées, comme le mariage précoce, sont réglées dans des lois ordinaires, notamment le Code pénal, le Code civil, le Code de l’Enfant etc. L’article 319 du Code pénal dispose : « Le mariage forcé et le mariage précoce sont formellement interdits. Est précoce tout mariage dont l’une des parties est âgée de moins de 18 ans ».
II – Sur la nécessité d’adapter la Loi fondamentale guinéenne à l’évolution du monde
Les citoyens et les constituants du monde entier partagent ce point de vue, c’est pourquoi la révision est consacrée et organisée dans toutes les constitutions écrites, y compris la nôtre. Juridiquement, rien ne s’oppose à une révision des dispositions révisables de notre Constitution.
Les grandes démocraties occidentales comme les Etats-Unis d’Amérique et la France ont amendé (révisé) plusieurs fois leurs constitutions pour les adapter à l’évolution de leurs sociétés.
De ce qui précède, et compte tenu du contexte politique, économique et social qui prévaut dans notre pays, je voudrais suggérer au Chef de Exécutif de renoncer à toute modification constitutionnelle pour se maintenir au pouvoir et à privilégier le dialogue franc, sincère et apaisé avec la classe politique sur les conditions d’organisation des futures échéances électorales, dans le respect scrupuleux des lois électorales et des Accords politiques.
Maître Amadou Diallo,
Ancien Directeur de la Réforme constitutionnelle du CNT
Député et Vice-président de la Commission des lois