Aristote et Guyau nous enseignent que « l’immoralité marque un arrêt dans le développement de l’être […] et constitue la plus grande ennemie du progrès humain ». Le fait marquant est que sous Alpha Condé, la Guinée fait face à la pire crise morale de son histoire politique.
En s’accaparant du pouvoir et en le maintenant par des moyens frauduleux, Alpha Condé a érigé l’immoralité en système de gouvernance. Or, le développement, produit de la liberté et de la créativité, est une question de prise de conscience ou de choix éthique. Les phénomènes récurrents de crise politique et de corruption rendent la Guinée ingouvernable tout en étant une conséquence directe de la confiscation du pouvoir d’État.
Le problème fondamental est que personne ne semble prêter attention à la base sociale de la problématique de la pauvreté et de la mal gouvernance, parce que les décideurs politiques ont perverti l’idéal du bien commun. Tout le monde se focalise sur les questions de régime, de politique et d’institutions alors que la cause de tous nos maux est la superposition de deux facteurs ; d’une part, la passivité du peuple devant l’expression systématique du mal par les dominants exacerbe le manque de perspectives économiques et son corolaire la pauvreté de masse ; d’autre part, le désengagement politique structurel des citoyens renforce l’illusion de supériorité de l’élite politique, faisant du coup des Guinéens des complices du naufrage des vertus essentiels à la bonne gouvernance.
Or, face à la fragilité des institutions et l’érection du vice en système de gouvernance, un peuple opprimé doit s’ériger en premier rempart contre l’abus de pouvoir. Du moins, le peuple doit interpréter sa misère comme la conséquence d’une mauvaise gouvernance sociale et politique. Cette tragique expérience politique des populations a fortement ébranlé mon optimisme quant à la capacité du peuple martyr de Guinée à se prendre en charge. Pour panser les maux de la Guinée, il faudra travailler à développer une conscience de la mal gouvernance susceptible d’être un levier insurrectionnel, ce qui permettra de lutter contre la privation de l’État par une élite corrompue et développer des mécanismes appropriés de justice sociale et économique.
La solidarité nationale face à l’arbitraire constitue un préalable indispensable à l’enracinement des valeurs démocratiques, qui, selon Professeur Yadh Ben Achour, n’est qu’un problème de culture et non de système politique ou de régime. Donc, tant que nous ne nous attaquerons pas à la racine du mal, nous continuerons à produire et à pérenniser des dirigeants apathiques et incompétents. L’appauvrissement de la Guinée sur fond d’oppression et d’enrichissement illicite des prédateurs intérieurs et extérieurs persistent à mesure que nous renforçons notre capacité d’adaptation à la médiocrité.
L’objectif d’une société civile efficace est justement d’aider les populations à se réapproprier leur capacité collective à façonner leur propre destin. Car, la synergie des actions des différents acteurs permet de lutter contre la menace de « l’oppression » des normes sociales, de contrecarrer la représentation globale des élites, et de réaliser le plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre de personnes. C’est pourquoi, il est crucial de créer des institutions panafricaines autonomes, solidaires, et qui vont défendre les valeurs humaines et promouvoir les principes démocratiques communs. La création du Collectif Africain Pour la Démocratie (CAPD), ou Africans United for Democracy (AUFD), en anglais, s’inscrit dans ce cadre.
Cet idéal d’action collective loin d’être une illusion est une réalité, et nous pensons que notre adhésion commune aux valeurs de la liberté et de l’égalité peut servir de point de départ susceptible de favoriser un engagement commun. Travailler à l’avènement d’une société démocratique, c’est aussi et avant tout comprendre les sociétés africaines et leur rapport à la politique, à l’économique, et aux différents modes de gestion de la vie commune. C’est là un travail intellectuel auquel entend se consacrer le CAPD conformément à ses objectifs. La synergie et l’autonomisation des organisations de la société civile africaine vont permettre de tirer profit des acquis et des expériences des unes et des autres.
Le CAPD se veut plus proactive et plus prospective en analysant les dynamiques politiques locales et internationales, afin de saisir les facteurs qui empêchent l’implantation durable des valeurs démocratiques et proposer des nouvelles pistes de réflexion. Notre mission principale est de soutenir les efforts visant à éduquer les citoyens et à faire des organisations sociopolitiques et professionnelles locales le moteur essentiel du changement. Pour ce faire, nous comptons tirer parti des capacités existantes et soutenir leur renforcement, en évitant de rentrer dans le jeu sordide des groupes de pression ou des individus mal intentionnés.
Retenons que face à l’imbrication des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, le peuple reste le tribunal suprême par excellence car il peut agir en toute indépendance.
Thierno Aliou Bah
Co-fondateur, Président et Directeur Exécutif
Africans United for Democracy