L’arrestation arbitraire et la détention tout aussi arbitraire du journaliste Lansana Camara intervient après d’autres arrestations ou procès contre des journalistes. Mamadou Saliou Diallo, Aboubacar Diallo et Almamy Kalla Conté, ont eu maille à partir avec la justice ces derniers temps. Curieusement, tous les plaignants contre nos confrères sont des ministres.
Partant de ce constat, on peut dire qu’il y a une volonté de faire taire les journalistes au sommet de l’Etat. Et surtout « criminaliser » le genre journalistique le plus passionnant, le plus noble et le plus utile pour les citoyens : l’investigation. Le journalisme d’investigation relève d’un véritable parcours de combattant en Guinée. L’accès aux sources d’information et l’insécurité qui pèse désormais sur les journalistes, qui risquent même leur vie en travaillant sur des sujets qui dérangent des réseaux trop puissants, sont autant de goulots d’étranglement sur la pratique du journalisme d’investigation en Guinée.
Tant que les journalistes continueront à faire des analyses, commentaires et autres reportages, cela ne dérange pas les hauts perchés. Ce qui suscite leurs courroux, c’est quand ces dérangeurs s’intéressent à la gestion de la chose publique. Or si les médias privés ne s’intéressent pas à cette gestion, le plus souvent opaque, ils n’auront plus leur raison d’être.
S’il est clair que le 3 mai de chaque les journalistes guinéens se félicitent qu’aucun des leurs ne soit en prison, c’est bien évidemment parce qu’ils évitent les sujets sensibles. Dans un pays où la corruption est endémique, il suffit de chercher pour trouver des cas comme ceux à cause desquels ces journalistes font l’objet d’arrestation voire de persécution. Or c’est cela le vrai défi que la presse guinéenne doit relever désormais.
S’il est vrai que leur mission c’est d’informer et d’être l’interface entre les gouvernants et les gouvernés, il est tout aussi vrai qu’ils ont l’impérieux devoir de participer activement au contrôle citoyen de l’action publique. Selon le journaliste Eric Chinje, si l’Afrique ne se développe pas, les journalistes africains seront aussi responsables. C’est autant dire que ces derniers ne sont pas de simples observateurs. Ils sont aussi et surtout des acteurs.
Le journaliste doit s’impliquer dans la lutte contre tous les obstacles au développement son pays. Et le premier obstacle au développement de la Guinée est incontestablement la corruption et le détournement de deniers publics. Le plus souvent les acteurs politiques –et parfois les acteurs économiques- se font un réseau « d’amis » journalistes qui bénéficient de leur générosité. Ce n’est ni fortuit ni gratuit. Derrière cette générosité il y a un objectif inavoué.
En réalité, le bon journaliste ne doit avoir ni ami ni ennemi. Son seul ami ce sont l’éthique et la déontologie. Ces règles sont au journalisme c’est que la discipline est aux armées. Les journalistes guinéens ont majoritairement compris ce principe sacro-saint. D’où leur nouvel intérêt pour l’investigation à l’origine des arrestations et autres procès en cascade auxquels nous assistons ces derniers temps.
Il s’agit pour les pouvoirs publics d’intimider les journalistes afin que ces derniers se fassent l’autocensure. Particulièrement pour l’investigation. Après les arrestations et procès passés et futurs, les journalistes doivent faire le choix entre la capitulation et la continuation de l’investigation. Dans le premier cas, ils auront moins d’ennuis mais aussi moins d’importance et d’utilité pour le pays. Tandis que dans le second, il faudrait s’attendre à toutes sortes de pressions et d’intimidations voire pire que tout cela.
Habib Yembering Diallo
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