De hauts dignitaires guinéens rattrapés par leur passé. L’homme d’affaires comparaît à Genève dans une affaire liée au gisement de fer de Simandou, l’un des plus importants au monde.
C’est l’aboutissement de sept ans d’enquête : le magnat franco-israélien Beny Steinmetz comparaît lundi 11 janvier à Genève, accusé d’avoir fait verser, via des comptes suisses, d’importants pots-de-vin à de hauts dignitaires guinéens en échange de droits miniers. L’audience, qui démarre à 8 heures devant le tribunal correctionnel de Genève, doit durer une semaine, mais le verdict ne sera rendu que dans deux semaines. A 64 ans, l’homme d’affaires et diamantaire, conseiller du groupe Beny Steinmetz Group Resources (BSGR) actif dans les ressources naturelles et l’immobilier, conteste entièrement les conclusions du parquet genevois, qui l’accuse de « corruption d’agents publics étrangers et de faux dans les titres ».
Tout remonte à la fin des années 2000, lorsque le gouvernement de l’ancien président guinéen Lansana Conté (au pouvoir de 1984 jusqu’à sa mort, en 2008) avait déchu le groupe anglo-australien Rio Tinto de l’exploitation du gisement de fer de Simandou – l’un des plus importants au monde – au profit de BSGR. Selon le parquet genevois, un « pacte de corruption » aurait alors été passé entre Beny Steinmetz, ses représentants en Guinée, Lansana Conté et sa quatrième épouse, Mamadie Touré. Les pots-de-vin présumés s’élèveraient à environ 10 millions de dollars (8,2 millions d’euros). « Nous plaiderons son innocence », a assuré à l’AFP son avocat Marc Bonnant. Beny Steinmetz est jugé aux côtés de deux autres prévenus, dont le Français Frédéric Cilins, qui a été condamné à de la prison ferme aux Etats-Unis en 2014 dans ce dossier. Mamadie Touré doit quant à elle être entendue comme témoin le 13 janvier. « C’est le personnage clé dans cette affaire, mais il est peu probable que Mamadie Touré assiste en personne au procès. Elle vit aujourd’hui aux Etats-Unis, où elle bénéficie d’un statut de témoin protégé », a indiqué à l’AFP Géraldine Viret, la porte-parole de l’ONG suisse Public Eye, qui avait publié en 2013 un organigramme très complexe de BSGR.
« La malédiction des ressources naturelles »
La défense clame que Beny Steinmetz « n’a jamais versé un centime à Mamadie Touré » et assure que cette dernière n’était pas l’épouse du président Conté, mais une maîtresse n’exerçant aucune influence. La façon dont l’ancien procureur Claudio Mascotto a mené l’enquête est également contestée par la défense, qui l’accuse d’avoir voyagé de façon informelle en Israël sans le mentionner dans le dossier. Si une demande de récusation de M. Mascotto a été rejetée l’an dernier, c’est désormais un duo de procureurs – Yves Bertossa et Caroline Babel Casutt – qui a repris le dossier.
« Cette affaire est une triste illustration de la problématique de la malédiction des ressources naturelles : soit le fait qu’un pays aussi riche en matières premières que la République de Guinée reste prisonnier d’une pauvreté extrême et paradoxale, explique Mme Viret, de Public Eye. L’affaire Steinmetz illustre les ravages de l’opacité lorsque des groupes s’en servent pour réaliser des profits gigantesques sur le dos de pays pauvres ».En 2013, Beny Steinmetz avait affirmé dans une interview à un journal français avoir investi 170 millions de dollars dans la mine de Simandou, avant d’en revendre 51 % au groupe brésilien de matières premières Vale, en 2010, pour 2,5 milliards de dollars, soit presque 30 fois plus cher. Une transaction qualifiée par certains médias de « casse du siècle ».
A la suite de son élection en 2010, le nouveau président, Alpha Condé, avait lancé une remise à plat de tous les permis d’exploitation minière accordés par son prédécesseur, annulant notamment les droits de BSGR en 2014. Après des années de bataille, Beny Steinmetz et la nouvelle présidence guinéenne étaient parvenus début 2019 à un accord convenant que BSGR renonce aux droits sur Simandou en échange d’un abandon des poursuites pour corruption. Cet arrangement n’a toutefois pas mis fin aux poursuites engagées par le parquet genevois.
Source : Le Monde et AFP