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«Disparus», les oubliés du 28 septembre 2009 en Guinée

Le 28 septembre 2009, les forces de défense et de sécurité, certains en civil, prennent d’assaut le stade de Conakry où plusieurs milliers de personnes sont réunies pour défier la junte militaire au pouvoir. Au moins 156 personnes sont tuées, 1 400 blessés et 109 femmes violées selon l’ONU. Les familles n’ont pu récupérer que 67 corps. Près d’une centaine manquent donc à l’appel. Dix ans plus tard, RFI a remonté la piste de ces disparus, oubliés par la justice. Enquête.

Les deux hommes s’engouffrent dans la brèche et disparaissent sous le mur d’enceinte du camp militaire. Nous les attendons dans la voiture pour ne pas attirer l’attention. De longues minutes s’écoulent. Les habitants du quartier de Yibamaya connaissent bien ce passage qui leur permet de traverser le terrain de l’aviation militaire et leur évite de payer un taxi collectif pour rejoindre le marché.

Ils affirment qu’une fosse commune se trouve de l’autre côté du mur. Elle contiendrait les corps de manifestants décédés au stade de Conakry le 28 septembre 2009, mais aussi d’autres victimes de la junte et de la répression menée par les précédents régimes. De nombreux épisodes de violences émaillent l’histoire contemporaine de la Guinée.

On aperçoit enfin les deux boubous blancs dans le rétroviseur, la vieille Peugeot démarre péniblement. Nous roulons quelques mètres en silence. Les images qu’ils présentent sur leurs téléphones sont un peu décevantes : un vaste terrain vague envahi par la végétation. Dix ans déjà et nous sommes en fin de saison des pluies. La nature a repris ses droits.

Leur récit en revanche est édifiant. Les jours qui suivent le massacre, disent-ils, le quartier est bouclé par les militaires. Les habitants se plaignent du va-et-vient nocturne des camions militaires, puis des odeurs de putréfaction.

Un riverain qui a depuis déménagé témoigne : « En rentrant chez moi le soir, j’ai trouvé des dizaines de pick-up, l’un d’entre eux était ouvert et j’ai vu les cadavres à l’intérieur ». Selon l’ONU, des dizaines de corps ont ainsi été transportés depuis les hôpitaux et les camps militaires, destination inconnue.

Quatre sites potentiels

Par chance, le gardien n’a pas fermé le portail du cimetière de quartier. Ici pas de plaques ni de pierres tombales, juste quelques broussailles et des monticules de terre fraîche. Les témoins interrogés par Human Rights Watch disent y avoir assisté à l’enfouissement nocturne d’une vingtaine de corps. En 2016, l’ONG de défense des droits de l’homme mène l’enquête et identifie quatre sites potentiels : la base aérienne, le cimetière de Yimbaya, Cosa-rails et Hafya. Mais son rapport n’a jamais été rendu public.

« La question est très sensible, admet Corinne Dufka, responsable Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. Il y avait un risque que les preuves soient détruites et certains craignaient que ces informations ne ralentissent encore l’enquête ».

Dans un autre rapport confidentiel, une ONG locale pointe le cimetière de Hamdallaye 1 et le camp Alpha Yaya. D’autres sources évoquent le rond-point de la Tannerie ou encore les alentours du Mont Kakoulima. Mais les témoignages sont contradictoires et les informations parcellaires. Trois semaines après le massacre, un militaire de la garde présidentielle a confirmé l’existence de fosses communes, évoquant le chiffre de 47 corps sur RFI.

Un deuil inachevé

Combien sont-ils en tout ? Human Rights Watch et l’ONU s’accordent sur un minimum de 156 victimes. Le 2 octobre, une cinquantaine de corps, certains en état de décomposition avancée, sont présentés sur l’esplanade de la grande mosquée de Conakry. Au total, 7 corps ont été remis aux familles, 89 restent donc introuvables laissant derrière eux des proches au deuil inachevé.

Certains sont regroupés dans l’Association des familles de disparus. Abdourahmane Soumah était au stade avec son frère, Ismaël, introuvable depuis lors. Au sein du petit groupe il est le seul à avoir tenté de mener des recherches. « J’ai pris le courage d’aller jusqu’à Kassa [île de Kassa dans l’archipel de Loos à quelques minutes de pirogue de la capitale NDLR] pour vérifier les informations selon lesquelles des corps avaient été transportés là-bas, raconte-t-il. Une fois sur place, un habitant m’a conduit au camp. Il m’a dit : « tu sais, le camp c’est le camp. Je peux te faire rentrer, mais est-ce que tu vas ressortir ? » J’ai réfléchi quelques minutes et j’ai tourné les talons. »

Tous les témoins disent craindre des représailles. « Je peux m’évanouir à la simple vue d’un uniforme », explique Nouhou Barry, frère d’un disparu et lui-même gravement blessé au stade. « Les principaux inculpés occupent encore de hautes fonctions et circulent librement, toues sirènes dehors », déplore Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA*. « Je ne voulais pas finir comme les autres », explique un témoin qui a choisi l’exil.

Bailo a perdu son père au stade « il était parti travailler comme tous les matins. Lorsque je l’ai appelé vers 11 heures, un homme m’a brutalement répondu “ton père est mort “ avant de raccrocher ». Plus tard, un parent l’informe que sa carte d’identité a été retrouvée dans les effets d’un corps sans vie, rejeté par la marée sur une plage de Sierra Leone. Le jeune homme n’a pas les moyens d’aller vérifier.

« Sans corps impossible d’achever notre deuil, explique une survivante. Encore aujourd’hui ma tante conserve les effets personnels de son fils en attendant son retour. Les disparus sont les oubliés du 28 septembre, poursuit-elle. Les victimes, les blessés peuvent témoigner, mais nous n’avons aucun document pour attester de notre perte. Sans certificat, ça n’existe pas, et sans preuve il n’y aura pas de justice ».

Un stade nettoyé et repeint

« Les autorités [de l’époque NDLR] se sont engagées dans une logique de destruction des traces des violations commises qui vise à dissimuler les faits », estime la commission d’enquête onusienne. Deux jours après le drame, le stade est nettoyé puis repeint.

Mais des informations précises existent. La sœur d’un disparu s’est rendue sur les lieux d’un enfouissement présumé. « Le gardien m’a donné tous les détails, mais il était terrifié à l’idée de témoigner. » Accepterait-elle d’y retourner ? « Sans aucun problème si je sais que ma sécurité est assurée, pour l’instant, ce n’est pas le cas. »

« Toutes ces informations ont été transmises à la justice en août 2016 », affirme Corinne Dufka, ajoutant que l’ONU aurait même proposé d’envoyer une équipe d’expertise médico-légale. L’actuel ministre de la Justice, Mohammed Lamine Fofana, dit ne pas avoir connaissance de ces informations, mais les « disparus » ne le sont pas encore tout à fait.

Avec RFI

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