Le Bashing sur les réseaux sociaux que subissent les artistes guinéens est révélateur d’un malaise latent entre eux et leurs fans. Dans un environnement fortement clivé politiquement et socialement, ceux qui sont victimes des exactions font payer aux artistes ce qu’ils peuvent à juste titre appeler un silence coupable.
N’ayant aucun autre recours, leurs regards se sont tournés vers ceux qu’ils estiment être proches d’eux et à même de porter leur colère. Se sentant abandonnés, cette colère est devenue un boomerang pour ce qu’ils estiment être des défenseurs de la veuve et l’orphelin.
On leur reproche de ne pas donner de la voix quand la nation fait face à certains périls. Pourtant l’art et les artistes de tout temps ont été des combats politiques et sociaux pour l’émancipation des peuples. Les exemples récents du Burkina Faso et du Sénégal sont des cas d’école. Des artistes réunis autour du Balai Citoyen et du collectif Y en a marre ont réussi à faire partir une dictature qui semblait indéboulonnable et empêcher un troisième mandat. Le choix de prolonger leur engagement politique (l’art déjà en est un) dans un espace de contestation du politique a été salué par tout le monde.
Qu’on ne se trompe pas, il y a une différence fondamentale entre un engagement politique et un engagement dans un parti politique. Même si certains artistes, ici ou ailleurs, ont décidé de cumuler les deux, les guinéens ne demandent pas que les artistes de notre pays choisissent un parti politique : ceci est une question de conviction personnelle.
Cependant, face à la répression qui s’abat sur une partie du territoire, l’indignation est un acte de foi en l’humain. S’insurger et dénoncer les atrocités contre nos compatriotes de l’axe n’est pas un choix d’un parti. Les 200 jeunes qui ont été jusqu’ici abattus dans ces quartiers ne méritent pas ce sort, quelle que soit la raison pour laquelle ils manifestent. Dire cela ne fait pas de vous un partisan ou un opposant de qui que ce soit. Cette dénonciation est un acte humain. L’injustice n’a pas de couleur, de parti ou d’ethnie. L’injustice crée des victimes sans se soucier de ce genre de détails. Et si les artistes guinéens n’ont pas compris cela, alors ils seront attaqués, en particulier par ceux qui constituent l’essentiel de leur public : les jeunes. Un leader d’opinion, c’est celui qui s’émeut lorsque son prochain souffre d’une quelconque injustice. La vérité, c’est que plus de 200 jeunes ont été froidement abattus. Dénoncer cela ne fait pas de nous des hommes politiques, mais révèle que notre part d’humanité est plus forte que nos intérêts mesquins. Un leader d’opinion doit comprendre et l’affirmer, agir publiquement pour défendre cette idée qu’au-dessus de tout, il y a l’HOMME.
Mais il est en même temps un fait : dans une société aussi mercantile où les valeurs morales connaissent une décadence, pourrait-on réellement en vouloir à cette grande majorité d’artistes qui a choisi de taire les souffrances d’un peuple qui les adule ? Loin de moi l’idée de faire la morale à qui que ce soit, car chacun est doté du libre arbitre qui nous différencie des animaux. On dit que « la main de celui qui demande est toujours en-dessous de celle de celui à qui il demande ». Cette maxime prend tout son sens dans le contexte guinéen car, c’est un secret de polichinelle que chaque artiste a plus ou moins un « parrain », un « grand » au cœur du système. Dans un pays où être artiste vous plonge dans la précarité et dans une certaine forme de mendicité, peut-on réellement s’aventurer à critiquer ce qui de temps à autre nous jettent les miettes de leur forfaiture ?
La course effrénée au bien matériel nous a éloignés de toute morale et de toutes nos valeurs humaines. Que l’on soit artiste ou pas, nous sommes tous coupables de notre silence assourdissant. Un silence qui devient encore plus pesant lorsque ceux dont la voix porte au-delà de nos frontières se taisent.
L’art est un outil de combat et les artistes, quel que soit leur secteur, doivent l’utiliser dans l’intérêt du « bas peuple ». Il ne vous est pas demandé de prendre position, mais de vous s’exprimer pour faire jaillir la vérité. Vos accointances et vos petits intérêts ne doivent pas primer sur l’humaniste et l’artiste qui est en vous. Si c’est la peur de ne pas faire l’unanimité qui est à la base de votre silence, sachez que même « Jésus n’a pas fait l’unanimité ». Si vous avez peur de frustrer vos « parrains » et vos « grands », sachez qu’ils ne méritent pas votre reconnaissance et votre respect. L’axe ne mérite pas ce qui lui est infligé. Dites-le ! Condamnez-le ! Publiquement ! Sortez de votre confort de « je suis apolitique » ! Ceci n’est pas une obligation pour vous artistes. C’est un devoir de conscience.
Par Abdourahim DIALLO