Parlant des personnes tuées par balles lors des manifestations, un ministre déclarait une fois, que ” le déplacement des corps par des citoyens et la modification des scènes de crimes rendaient difficiles sinon impossibles les enquêtes “.
Mais la question que l’on se pose est de savoir combien de crimes ont été élucidés en Guinée à travers des preuves fournies par l’examen d’une scène de crime ? Apparemment, aucun.
Il existe aujourd’hui une police technique au sein de nos services d’enquête. Est-ce une police technique et scientifique ? Quoi qu’il en soit, on ne peut s’empêcher de se poser des questions sur la formation et sur les moyens dont disposent les membres de cette unité pour mener à bien sa mission. Car une police technique exige des moyens techniques.
En attendant que les réponses à ces questions, il faut relever que lorsque des manifestants sont mortellement touchés par balles, il y a très souvent une autopsie faite par le service de médecine légale.
Une autopsie est toujours sanctionnée par un rapport. Les rapports d’autopsie peuvent donc servir de base de travail pour les juges saisis. Mais très curieusement, ces rapports sont gardés secrets. Même les avocats à plus forte raison les familles des victimes n’y ont pas accès. Est-ce l’attitude de dirigeants qui veulent faire la lumière sur des cas de morts violentes lors de manifestations ?
Quelquefois, on entend un ministre faire allusion à ces rapports d’autopsie, en violant ainsi le secret de l’instruction, quand il y a instruction.
Ils s’arrogent, en terme de communication, les attributions du procureur de la République qui devient subitement aphone.
Ainsi, on a entendu un ministre déclarer une fois que selon les rapports d’autopsie, certaines victimes auraient reçu des balles dans le dos. Information que les familles de victimes ont apprise dans la presse alors qu’elles devraient l’obtenir à travers le dossier. Ces déclarations sont du reste compromettantes pour les auteurs d’homicides pendant les manifestations. En effet, quand une personne reçoit une balle dans le dos, cela veut dire qu’elle faisait dos au tireur et qu’il ne représentait aucune menace pour celui-ci. Il a donc été tué de sang-froid. Le tueur ne pourrait donc invoquer la légitime défense.
Une autre fois, un ministre a déclaré qu’on se serait servi d’une pince pour introduire une balle dans le corps d’une victime afin d’accuser les forces de l’ordre! Mais il est le seul à avoir pu accéder au rapport d’expertise. Quel crédit accorder à une telle déclaration puisque ni les avocats constitués ni les familles de victimes ne connaissent les conclusions dudit rapport ?
Comment peut-on parler de volonté de faire la lumière sur les cas de manifestants tués et en même cacher à leurs familles des rapports d’autopsie? C’est là que commence la dissimulation.
Que deviennent les balles extraites des corps des victimes ? Sont-elles placées sous scellés ? Sont-elles grattées pour faire disparaître des traces gênantes ?
Ce sont là autant de questions qui démontrent qu’il n’y a jamais eu de volonté de mener une véritable enquête sur ces dossiers. Soutenir que c’est l’opposition qui empêche la manifestation de la vérité dans ces affaires relève de la mauvaise foi pour ne pas dire plus.
Pourquoi la justice chercherait-elle d’ailleurs à faire la lumière sur des morts dont les auteurs sont déjà désignés par des autorités politiques ? Quel est le l’enquêteur ou le juge qui prendrait le risque de ramer à contre-courant des conclusions du président de la République ou d’un ministre ?
Par ailleurs, quand une enquête est susceptible de mettre en cause des éléments des forces de l’ordre est confiée à un service de police judiciaire (police ou gendarmerie) est-il possible que celui-ci travaille en toute indépendance et en toute objectivité ? L’esprit de corps ne pourrait-il pas prendre le dessus sur l’obligation de mener de façon professionnelle une enquête ?
Théoriquement, la police judiciaire est placée sous la direction du procureur de la République. Ainsi, en matière d’enquête préliminaire ou de flagrance, un officier de police judiciaire (gendarme ou policier ) n’a de compte à rendre qu’à ce dernier. Mais les interférences de la hiérarchie au niveau de la police ou de la gendarmerie peuvent difficilement être écartées. Autant dire que dans les cas de manifestants tués, il est infiniment plus judicieux de constituer une commission d’enquête indépendante et ouverte à l’opposition et à la société civile comme l’a fait le Sénégal récemment. C’est par ce moyen que l’État peut donner un gage de sa volonté de situer les responsabilités.
Seul un État animé de bonne volonté peut arriver à aplanir toutes ces difficultés en donnant carte blanche aux enquêteurs. On en est très loin, très malheureusement.
Me Mohamed Traoré, ancien bâtonnier