Avec l’augmentation constante et inquiétante des cas de contamination par le coronavirus en Guinée, à ce jour plus d’une trentaine, le pays semble se diriger inexorablement vers des mesures de confinement.
Conakry où les contaminations se concentrent pour le moment fait déjà l’objet d’un isolement, les circulations internes dans le pays sont interdites et des mesures de distanciation sociales ont été prises. Vu l’évolution de l’épidémie, le durcissement de ces mesures, vers un confinement généralisé, est un scénario plausible mais qui parait semé de difficultés.
Depuis que la Chine, foyer du Covid19, a procédé à l’isolement total de la ville de Wuhan où sévissait l’épidémie, tous les pays du monde ont tendu à appliquer cette mesure extrême mais nécessaire pour enrayer une maladie qui ne connait aucune discrimination dans son extension. Mais comment appliquer des telles mesures dans un pays où un grand pan de la population exerce des activités informelles, et ne survit qu’au jour le jour ? Le journal Le Monde rappelait dans son édition du 30 mars qu’en Afrique de l’Ouest, une grande partie de la population vivait en effet avec moins de 2 dollars par jour.
Cette situation suscite une inquiétude généralisée et dans ce contexte chacun semble mettre de côté son statut : opposant, médecin, ingénieur, simple citoyen… Tout le monde interpelle le gouvernement guinéen en lui demandant d’isoler totalement ou partiellement la ville de Conakry, la capitale, considérée pour le moment comme l’épicentre de l’épidémie.
Si l’effroi devant cette maladie s’est emparé de toute la Guinée, le pays, (comme de toute la planète), peu de personnes s’interrogent sur le sort des plus démunis qui constituent, dans le contexte de la paupérisation galopante de la population ces dernières années, la grande majorité des guinéens. Comment cette couche de laissés pour compte pourrait-elle supporter les coûts d’un confinement ?
Le président Patrick Talon du Bénin n’y est pas allé par quatre chemins, lors de son allocution au peuple béninois, pour dire que : « le Bénin ne dispose pas de moyens » pour aller au confinement. Le confinement qui paralyse toutes les activités socio-économiques du pays, la Guinée non plus n’en a pas les moyens.
En Guinée, bien que l’Agence Nationale de la Sécurité Sanitaire (ANSS) et l’Institut National de la Santé Publique (INSP) se soient attelés très tôt pour empêcher la pénétration du coronavirus sur le territoire guinéen, le gouvernement dans son ensemble gardait les yeux rivés sur les préparatifs et l’organisation des élections très contestées des législatives et du référendum du 22 mars dernier, qui avaient auparavant fait l’objet de beaucoup de reports avant qu’ils ne se tiennent finalement le 22 mars. Et pourtant, c’est le foyer de l’épidémie Ebola qui a sévi dans le pays de 2013 à 2016.
Nous devons en tirer les leçons ! Mais quelle légèreté vraiment de la part du gouvernement ! Le Guinéen oublie tout vite, dit-on, même le malheur ! Tout se focalisait sur les élections qui ont tenu en haleine le pays entier, et que les promoteurs considéraient comme une sorte de bouée de sauvetage face aux nombreuses difficultés auxquelles qui assaillent le pays.
Et soudain, après les élections, tout le monde s’est réveillé, du citoyen lambda qui n’a peut-être même pas eu la chance d’aller à l’école, à la plus haute autorité du pays (le ministre des travaux publics s’est retrouvé positif au Corona, ainsi que la présidente du Conseil économique et social), angoissés devant cette pandémie qui ne fait que gagner du terrain chaque jour.
La nouvelle est inquiétante pour un pays dont les infrastructures sanitaires sont très loin du standing international demandé, et surtout pour une maladie qui a fait plus de huit cents morts en vingt-quatre heures dans l’un des pays occidentaux les plus prospères et les plus touchés par la maladie, en l’occurrence l’Espagne.
Face à cet état des choses, comment le gouvernement guinéen dont tout semble indiquer l’impréparation et les tâtonnements pourrait-il freiner la propagation d’une malaie dont les pays développés avec leurs infrastructures de qualité sont incapables d’arrêter la diffusion ? Et surtout quelles mesures d’accompagnement adopter pour les communautés et les couches les plus démunies, comme le recommande vivement le Directeur Général de l’OMS ?
Peut-il y avoir une union sacrée contre le coronavirus dans un paysage à forte polarisation politique ?
Depuis que le président Alpha Condé a fait du changement constitutionnel son objectif premier, les acteurs politiques, opposition regroupée au sein d’une plate-forme dénommée Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), et la mouvance présidentielle sont à couteau tiré. Est-ce que cette pandémie pourrait favoriser une sorte d’une union sacrée où chacun irait de son expertise sur la manière dont il faut gérer cette crise ? Rien n’est moins sûr.
Toutefois, il faut souligner que beaucoup de leaders, comme par exemple l’opposant Faya Milimono, ont fait des propositions plus ou moins bien ficelées au gouvernement sur la façon de combattre le coronavirus, sans pour autant que leur proposition ne reçoive le moindre écho de la part des autorités. Pour le moment, les mesures gouvernementales ne viennent qu’au compte-goutte en fonction du degré de la diffusion de la maladie, comme si on doutait encore de sa réelle propagation généralisée.
Et pourtant, comme nous le savons tous, cette maladie ne connait ni pauvre, ni riche, ni gouvernant ni gouverné, tout le monde est à sa portée. Pour nous, à toute mesure doivent s’ajouter des mesures d’accompagnement pour la couche la plus faible de la population.
Au moment où nous écrivons ces lignes, la Guinée n’est plus très loin d’une quarantaine de cas positifs, un chiffre bien inquiétant pour l’un des pays les plus pauvres de l’Afrique de l’Ouest. Se contenter de mesures sanitaires aléatoires sans un accompagnement réel de la part de l’Etat pour les pauvres, c’est mettre en danger la vie de millions de Guinéens dont la vie vaut plus que les milliers de tonnes de bauxite qui font l’objet d’une surexploitation sans précédent ces dernières années, et qui malheureusement n’ont eu presque aucun impact sur l’amélioration de la vie des citoyens. Ce n’est pas le lieu ici d’évoquer la sempiternelle richesse du pays dont seule une petite minorité en profite au-détriment du peuple. Comme l’ont attesté toutes les chartes régionales et internationales auxquelles la Guinée a souscrit, le risque sanitaire est une question de sécurité nationale qu’un pays doit considérer en priorité ; le Covid19 en premier lieu.
Et pour le Covid19, c’est, comme on dit, chacun pour soi. Ne comptons pas sur nos partenaires parce qu’ils sont dans le même bateau que nous. Tous les acteurs de la vie sociopolitique de notre pays doivent jouer fair-play et enterrer momentanément la hache de guerre pour faire face à l’ennemi commun, le coronavirus. L’OMS prévoirait entre 7000 et 10000 cas d’ici juin de cette année. Nous ne devons pas badiner avec la santé de nos concitoyens, l’Histoire jugera sévèrement ceux qui ne seront pas à la hauteur.
Thierno Youla SYLLA
Chercheur à Paris III